
Self-care talk : est-ce que c’est normal de ne pas (ou plus) avoir envie de sexe ?
0 + 0 = 0 libido
Zéro libido ? No problemo, on en parle juste ici. Que vous soyez en couple / en relation·s et que vous n’ayez plus envie de ken votre / vos partenaire·s, que vous soyez solo avec aucune envie de vous titiller là en bas… Here comes l’article où, pour une fois, on ne parle pas de sexe : on parle de quand il n’y en n’a pas.
Petit préambule avant de commencer cet article : si ce contenu s’adresse à toustes, de nombreux passages analysent les mécanismes à l’oeuvre dans les relations hétéro (déso pas déso - elles sont tout simplement plus problématiques).
Docteur, c’est grave ou c’est comment ?
Avant d’étudier le sujet de manière plus profonde (sans mauvais jeu de mots), de l’appréhender sous un prisme politique ou encore de vous filer quelques tips… Rembobinons.
D’un point de vue scientifique, une baisse ou une absence de libido peut-être considérée comme un « trouble du désir sexuel ». Et of course, si vous en souffrez et que vous aimeriez retrouver une sexualité, vous êtes tout à fait en droit de consulter un·e spécialiste (gynéco, sexologue), comme on vous l’expliquait déjà dans cet article.
Il peut en effet s’agir d’un trouble médical (un déséquilibre hormonal et neuronal provoquant une chute de la libido, aka désir sexuel hypoactif), ou d’une raison plus liée au contexte (genre votre pilule a foutu votre libido dans les choux ou votre partenaire de longue date ne vous excite plus autant qu’avant).
Le sexe est toujours un choix
Maintenant qu’on a dit tout ça, il est inévitable de souligner que si l’absence de libido peut être considérée comme un trouble pour lequel on peut proposer des solutions médicales et médicamenteuses… Il est bien sûr absolument hors de question de considérer les personnes « ace » (aka asexuelles) comme étant malades (ce qu’à pourtant fait le DSM jusqu’en 2015). D’ailleurs et pour info, les personnes asexuelles représenteraient, selon une étude britannique menée en 2004, 1 à 4% de la population occidentale (ce qui n’est clairement pas rien et probablement sous-estimé vu le contexte en 2023).
Bref, le sexe, c’est quelque chose que l’on fait pour le plaisir et seulement si l’on en a envie : on ne voit donc pas en quoi il faudrait traiter médicalement les personnes qui ne s’intéressent pas à la sexualité (il y en a bien qui n’aiment pas la pizza et on ne leur file pas des médocs pour y remédier, donc on est d’accord ou c’est comment ?).
Sous-titre : l’asexualité n’est pas plus un choix que l’hétérosexualité. C’est tout simplement une orientation sexuelle. On en profite pour faire un bisou à la série Sex Education qui a largement contribué à éduquer / sensibiliser les personnes sur l’existence et la légitimité de l’asexualité. S/O Jean Milburn, vous-même vous savez.
La révolution du No Sex
Si le fait de ne pas forniquer était vraiment un problème, la gen Z serait vraiment dans la m*rde, dans la mesure où, comme le rappelle l’autrice Magali Croset-Calisto dans son livre La Révolution du No Sex (Ed. de l’Observatoire, 2023), « 43% des 15 - 24 ans déclaraient ne pas avoir eu de de rapports sexuels durant les douze derniers mois ».
Dans cet ouvrage absolument passionnant, qui se décrit comme un « petit traité d’asexualité et d’abstinence », l’autrice décrypte les rouages et mécaniques bien ficelées d’une stigmatisation des personnes qui n’ont pas de sexualité active. En tête de file (à part les ace dont on vous parlait juste au-dessus) ? Les abstinent·es.
Soulignant le fait que l’absence de sexualité ou de désir sexuel est toujours un tabou (voire une honte) dans nos sociétés occidentales, elle précise : « Le fait que la sexualité fasse partie de la « bonne » santé mentale et des principaux plaisirs de la vie est une opinion encore largement répandue ».
Poursuivant son raisonnement, elle ajoute : « (...) pourtant, il est important de parler du non-désir des personnes asexuelles et/ou abstinentes volontaires, sans quoi nous passerions à côté de bien des métamorphoses individuelles et sociétales en cours. »
La grève du cul : une solution béton
Puisqu’on en est là, à parler d’abstinence, creusons plus encore le sujet avec « la grève du cul » - un sujet / une pratique dont on entend de plus en plus parler dans les communautés féministes radicales (chez les hétéras, évidemment).
Pour nous guider dans ce concept très contemporain, la réalisatrice et autrice (et papesse du cul) Ovidie a quelques anecdotes… Et bien plus encore, puisqu’elle en a fait le sujet de son trop cool livre La chair est triste hélas (Ed. Julliard, 2023). Dans ce récit qui lie savamment l’intime et le politique, elle raconte comment elle a décidé d’arrêter, depuis 4 ans, le sexe avec les hommes. Pourquoi ? Parce qu’elle en avait ras-le-bol (pour le dire poliment), et que cette idée de grève du sexe lui trainait en tête depuis quelques années déjà. Aussi pédagogue que sans équivoque, elle nous dit : « Non je ne suis ni frigide ni dyspareunique, je suis tout simplement mal baisée, je ne cesse de le dire. Le plaisir, l’orgasme, et les fantasmes ne sont pas morts. »
Dans ce livre coup de poing, l’écrivaine souligne à quel point les rapports sexuels hétéros sont gangrénés par les problématiques sociétales qui enferment les relations hommes-femmes (cis, le plus souvent), dans une espèce de rituel performatif d’où les femmes sortent largement perdantes (coucou le fossé orgasmique). Mettant carrément les pieds dans le plat (et des mots sur des réalités que vous-même vous savez), elle nous dit : « (...) parfois on préfère sucer plutôt que d’affronter une pénétration avec le service après-vente qui s’ensuit, la douche, l’irritation, la brûlure à la miction, la dosette de cranberry en poudre. Ou plus grave, la crainte qu’il ne se retire pas à temps, que le préservatif craque, qu’on attrape des chlamydiae, qu’on se retrouve deux semaines plus tard à compter et recompter les jours, en espérant que les règles arrivent enfin. »
Ce qu’elle dit en filigrane, c’est ce que Valérie Solanas avait déjà très bien identifié dans les sixties dans son légendaire SCUM Manifesto : il faut avoir pas mal baisé pour être anti-baise. C’est ainsi que l’abstinence devient parfois un choix politique.
L’abstinence est un choix (politique)
Dans le cas d’Ovidie, on est donc là face à un choix réfléchi et qui se défend clairement : si on est constamment mal baisé·e, pourquoi s’infliger le fait d’y retourner ? Autant se branler (car oui, les personnes ace ou abstinentes peuvent se masturber), ça va plus vite. La difficulté selon Ovidie ? « (...) reprogrammer ses fantasmes » - aka se faire du bien en utilisant d’autres fantasmes que ceux que nous avons connus (souvent toujours les mêmes) dans des sexualités hétéros.
« Quand on a toujours fait de soi un objet, comment fantasmer sur autre chose que le fait d’être désirable ? », nous demande-t-elle très justement.
En face ? Eh bien, comme on ne fait que de nous le rabâcher aux quatre coins de la presse, « la masculinité est en crise » (et tant mieux, parce que les gars, vous faisiez clairement bader). Mais loin d’en faire un sujet alarmiste (genre « les hommes c’était mieux avant »), l’autrice Magali Croset-Calisto nous explique qu’une nouvelle génération de jeunes hommes cherche à se repositionner dans leurs sexualités (merci #Metoo et toustes les militant·es qui ont bien bien taffé). Parce que, soyons honnêtes, ce culte de la performance, cette vision hétéronormative est dommageable pour tout le monde - et peut créer chez certains hommes des phénomènes tels que l’impuissance, l’éjac’ précoce ou encore la baisse de libido - au point, parfois, qu’ils choisissent l’abstinence eux aussi.
Et vous savez quoi ? Avec toutes les représentations de la sexualité que nous avons à déconstruire ET à reconstruire, l’abstinence peut apparaître comme une solution de repli - le temps de se reconstruire, de s’inventer de nouveaux fantasmes (ou pas), de mettre son corps au repos : « Il est urgent de déconstruire les clichés et stéréotypes qui ont culpabilisé les femmes et clivé les hommes durant des décennies, voire des siècles. C’est pourquoi une pause dans sa sexualité peut parfois enclencher une redéfinition des choses, tout en affinant ses préférences et ses désirs afin de reprendre ensuite (ou pas) des relations intimes plus harmonieuses et personnalisées. Des relations, ou des pauses, qui permettront ainsi d’être en adéquation avec ses propres envies et ressentis. » Un sujet dont on vous parlait d’ailleurs sans filtre dans cette chronique.
Qui a (vraiment) envie ?
Il n’y a pas que la gen Z qui baise moins : Magali Croset-Calisto souligne ainsi dans son ouvrage que depuis plus d’une vingtaine d’années « les sexologues font le constat que la baisse de libido est la première plainte des femmes en consultation ». Si elle emploie le terme « plainte » c’est parce que souvent il y a asymétrie du désir dans les couples hétérosexuels (mais on y reviendra).
Un peu plus loin dans le livre, elle en vient à évoquer le fait que l’on ait, en fait, mille et une raisons de ne pas faire l’amour. Pour l’autrice, les sociétés dans lesquelles nous vivons, et leurs modes de sur-fonctionnement tendent tout simplement à « lessiver » les personnes, qui, une fois bien enroulé·es dans leur couette… Bah, ont juste envie de pioncer fort en fait.
Et il y a là quelque chose d’important à souligner : comment avoir envie de faire l’amour dans un monde méga stressant, dans un contexte où de nombreuses personnes ont vécu des violences sexuelles ? Comment avoir envie de sexe dans un monde qui tend à nous rendre eco-anxieux·se, au beau milieu d’une inflation sans précédent ou en vivant sous un Gouvernement qui pratique la coercition pour faire passer des lois dont personne ne veut ?
Magali Croset-Calisto nous l’explique d’ailleurs très bien : « D’un point de vue psychologique, de nombreuses causes peuvent induire une baisse voire une absence de sexualité. Stress, charge mentale, burn-out, troubles anxieux, dépression… la société occidentale pousse à l’excellence et à l’oubli de soi, nécessaire non pas à l’individualisme, mais à l’individualité ».
Comment pallier à cela ? Eh bien, les « solutions » employées par les personnes aujourd’hui vont de la pratique de l’abstinence comme on vous en parlait plus haut… À l’hyperconsommation (de sexe et de drogues) en allant vers le chemsex - très pratiqué dans les communautés gays. De la même manière, l’autrice rappelle que de nombreuses femmes déclarent devoir s’alcooliser pour pouvoir faire l’amour.
Sexualité partout, baise nulle part ?
Déso pas déso les amilles, mais il va falloir en rajouter une couche au gâteau du “le cul c’est compliqué”. Et pas des moindres : la culture du porno.
Dans son essai, Magali Croset-Calisto émet le postulat que c’est précisément parce que les personnes (et une génération de très-trop jeunes en particulier) sont confrontées au porno qu’il devient compliqué d’avoir envie de faire l’amour. Certains des témoignages qu’elle a récoltés pour l’occas’ évoquent même un sentiment de dissociation - aka, pour le dire grossièrement : le fait d’être la personne “bien sous tout rapport” qui vit sa vie de tous les jours… Tout en ne pouvant pas s’empêcher de regarder du porno de plus en plus hardcore.
Résultat : de nombreuses personnes consommant à outrance des contenus pornographiques (ou en ayant vus trop jeunes) peuvent basculer dans le mouvement du No Sex puisqu’elles « ont toutes en commun ce sentiment d’avoir ouvert les yeux sur les effets néfastes d’une sexualité qui n’est pas la leur ».
Selon l’autrice du livre, l’ère de gloire de Jacquie & Michel et du porno à gogo serait donc aujourd’hui dépassée, ou, en tous les cas, remise en question par le mouvement du No Sex. Ce qui n’a rien de déconnant dans la mesure où aujourd’hui, les cartes des rapports amoureux ou sexuels sont rebattues à tous les niveaux.
Tentative de redéfinition des relations
Ainsi, et selon les jeunes interrogé·es dans la dernière enquête menée par Ifop auprès de celleux-ci, l’amitié serait une valeur bien plus sûre que l’amour. Even more : selon cette même étude, la tendresse devancerait l’amour et le sexe dans la satisfaction de chacun·e.
En bref : les générations millennials et Z rêvent à d’autres manières de relationner. Iels causent relation libre, polyamour, asexualité, consentement, pansexualité… Et relèguent ainsi le sexe a un champ d’expression et d’importance bien moindre que les soixante-huitards. Pour le dire autrement : la fameuse expression de l’époque « jouir sans entraves » ne porte aujourd’hui plus la même signification. Car pour les nouvelles générations, « jouir sans entraves » = avoir la liberté de choisir qui l’on est et ce que l’on désire. Que ça implique du sexe… ou pas.
Et les « jeunes » ne sont pas les seul·es à prendre ce parti. Comme le souligne Magali Croset-Calisto, de nombreuses femmes font le choix de ne pas retrouver de vie de couple ou de sexualité après leur divorce.
Bref : le vent tourne. Et le sexe, même s’il est omniprésent (coucou la pub, PornH-b ou « tout simplement » la culture de la femme-objet), n’a peut-être plus tant que ça le vent en poupe.
OK, mais comment on gère les disparités de désir sexuel dans une relation, SVP ?
Maintenant qu’on a dit tout ça, on a bien sûr tout de même envie de penser à celleux qui n’auraient pas fait le choix de l’abstinence et/ou qui rencontreraient des disparités de désir sexuel dans (une de) leur relation avec un·e partenaire.
Obvi, vu la place que nos sociétés continuent d’accorder au fait d’avoir une sexualité épanouie (comme on vous en parlait plus haut), se retrouver dans une situation où l’un·e des partenaires a envie et pas l’autre amène bien souvent à se poser des questions existentielles type : « si tu ne me désires pas, est-ce que notre relation est finie ? ».
Pourtant, et comme le dit très bien ce témoignage récolté par Julie Sandra-Decker : « pourquoi l’amour devrait-il s’accompagner de sexe pour être véritable ? ». Plus encore : pourquoi sommes-nous capables de juger acceptable le sexe sans amour mais pas l’inverse ? Weird quand on y pense.
Bon. Ceci étant dit on ne va pas vous laisser sans quelques bons tips pour gérer le bail si ça vous incommode (parce que la théorie ça va bien deux minutes). Ça tombe bien : la trop cool Léa de Merci Beaucul nous avait balancé tout son précieux savoir à ce sujet dans notre Courrier du Cul de l’été dernier. Bonne lecture et rappelez-vous : oui, le sexe, c’est cool, mais c’est pas toute la vie.
Et pour le reste, pour vous renseigner, pour vous faire kiffer, lisez :
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La révolution du No Sex : petit traité d’asexualité et d’abstinence, un essai de Magali Croset-Calisto, aux éditions de L’Observatoire, 14€
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La chair est triste hélas, un récit-essai d’Ovidie, aux éditions Julliard, collection Fauteuse de trouble, 18€
I. Malèej