Pour la génération de nos parents, le paradize c’était stabilité et compagnie. Il fallait être proprio, se marier, être fonctionnaire ou au minimum en CDI, et pas trop déménager histoire de conserver racines et ami·es. Forcément, les générations suivantes se construisant en contradiction avec les valeurs des précédentes, on se retrouve à chercher tout l’inverse. On habite dans des villes trop chères pour investir - de toute façon on compte bosser à Berlin, Barcelone et San Francisco en freelance dans les 5 prochaines années - et on swipe plus vite que notre ombre sur les app de rencontre en pensant “zéé parti pour la grande réforme des schémas amoureux hétéronormés”.

Avec internet, l'accessibilité des transports (coucou Ryanair) et surtout les réseaux sociaux, le monde est devenu si grand et full of possibilités que le choix, lui, est devenu cruel. On veut tout voir, tout faire, tout vivre, par peur de passer à côté de tout ce qui existe. Hello l’fameux FOMO. Résultat : on se sent obligé·e de tester des jobs, des restos, des villes, des destinations de vacances, des relations tous les 4 matins pour avoir l’impression de ne passer à côté de rien. Et à l’inverse, à force de vivre dans ce tourbillon permanent, les personnes qui s’extraient de cette injonction au changement pour construire sur la durée ou tout simplement kiffer la vibe, semblent stagner.

 

À 28 ans, Lola va bientôt fêter ses 6 ans dans la même entreprise. « J’aime mon taff, je suis bien au quotidien, je bosse avec des personnes super, je m'entends bien avec ma boss, je suis respectée… Mais j'ai souvent droit aux "Alors toi, toujours chez machin ? Va falloir penser à bouger non ?”, et quand j’entend ça, je me dis "Ouais j'avoue ça craint, faut que je bouge", comme si ça faisait un peu Tanguy, comme si j’étais la meuf qui avait peur de partir de chez ses parents ».

Même quand on a trouvé l’environnement professionnel idéal, l’injonction au changement permanent fait qu’on se remet en question et nous empêche de profiter avec apaisement de notre situation. Une pression qu’on fait aussi porter sur les relations amoureuses.

 

Nina a connu son copain quand elle avait 15 ans, ce qui leur fait aujourd’hui 12 ans de relation au compteur. A chaque fois qu’elle rencontre de nouvelles personnes qui lui posent l’incontournable question “Et toi, t’es en couple ? Ça fait combien de temps ?”, elle reçoit souvent les mêmes réactions :

 

« Soit on me dit “C’est incroyable, moi je pourrais pas”, comme si les gens trouvaient ça insurmontable de faire durer une relation (ou avaient la flemme), soit on me met direct dans la case de la meuf boring et on m’exclut, soit c’est carrément des questions-jugement du genre “Mais comment c’est possible de rester toute sa vie avec la même personne ?”, “Tu te lasses pas sexuellement ?”. Pour elleux, c’est réducteur de se focus sur une seule personne alors que tu pourrais en découvrir plein qui pourraient t’apprendre plein de choses. Mais la découverte à mes yeux, peut aussi passer par le fait de rester avec la même personne, de créer une relation unique et profonde avec quelqu’un ».

La vérité de cette injonction, c’est qu’elle s’inspire trait pour trait de la société de consommation qui change de mode chaque semaine, sort un nouveau produit chaque minute, et nous habitue à jeter plutôt qu’à réparer. On s’engueule ? Next. On s’éclate moins au lit ? Next. Notre boss devient chiant·e ? Next. Paris nous saoule ? Next. C’est ok de changer quand les choses ne vont pas, quand on est malheureux·se, angoissé·e, mais c’est aussi ok d’en prendre soin ou de les réparer. De s’investir dans une relation, de faire les efforts de la communication, de faire remonter les problèmes qu’on rencontre au travail, de retaper son appart.

 

Et surtout, c’est ok de garder ce qui nous convient en faisant taire la petite voix qui chantonne que l’herbe serait peut-être plus verte ailleurs. Le changement permanent est une option pétrie de privilèges, et donc une injonction totalement inégalitaire. Pour changer il faut être en capacité d’amortir l’instabilité. Quitter son taff pour partir vivre en Nouvelle Zélande (ou juste pour quitter son taff) sans plan thune ni parent derrière ? Euuh...

Et ça n’apporte pas forcément ce que vous cherchez, comme le raconte Nina par rapport à l’attrait de multiplier les expériences amoureuses : « On fait vachement tout un truc des débuts de relation comme si c’était le meilleur moment, moi je ne suis pas d’accord avec ça. J’ai l’impression d’avoir plus gagné à poursuivre ma relation qu’à suivre la facilité du “c’est trop dur, on arrête, je trouverai bien quelqu’un d’autre” ». A force de toujours recommencer, on ne vit pas les choses pleinement, on s'enrôle dans le cercle vicieux du FOMO et on se force parfois à tort à sortir de sa zone de confort.

 

Ne jetez pas et ne vous jetez pas à corps perdu dans le tout-nouveau : prenez soin des piliers qui vous soutiennent, chérissez ce que vous avez de bon et de doux dans votre vie, le plus longtemps possible. La stabilité n’est pas un gros mot réservée à la génération d’avant.