Self-care talk : Comment faire face au deuil ?
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À force de tabou, dans nos sociétés le deuil est devenu un problème à résoudre, un moment désagréable dont il faut vite se remettre pour soi et pour les autres, tout en respectant certaines règles de bienséance. En fonction d’un ordre établi d’étapes, il faudrait pleurer beaucoup, crier, pas trop fort, se morfondre, mais surtout pas trop longtemps pour sortir rapidement grandi·e de ce vécu, parce que ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort right ? On pourrait presque croire qu’on a startupisé la mort… Sauf que quand on fait vraiment face au deuil, toutes ces certitudes construites pour mal nous protéger de la vérité et de la douleur, volent en éclat. La vérité, c’est qu’il n’y a pas qu’une vérité, qu’une façon de processer tout ça, d’aller mieux ou de se laisser le temps d’aller mal. Ici, on ne prétend pas du tout vous apporter toutes les réponses, mais peut-être simplement quelques pistes pour apaiser ce que vous aurez besoin d’apaiser.
C’est quoi, au fait, le deuil ?
Pour commencer, il faudrait définir ensemble ce qu’est le deuil. Dans son sens généralisé, c’est le chemin émotionnel qu’une personne emprunte suite à la mort d’une personne proche, mais aussi d’une relation (rupture amoureuse ou amicale), ou d’un projet de vie (diagnostic d’infertilité, faillite, carrière ou passion stoppées par un grave accident…). “Faire son deuil”, c’est alors accepter ce décès ou cette nouvelle réalité, et parvenir à poursuivre sa vie au-delà de la peine.
Mais dans son roman Saturne, l’écrivaine, psychologue clinicienne et psychanalyste Sarah Chiche prend le contre-pied. Pour elle, "On ne fait pas son deuil : on est fait par le deuil". Plutôt que d’essayer de reprendre le pouvoir sur sa vie et sur ses propres émotions : accepter notre passivité, notre impuissance face à la situation, accepter que cet évènement va nous bouleverser, dans le sens nous changer brutalement et profondément. L’impuissance n’est pas un gros mot : l’accepter c’est accueillir une forme de sérénité plutôt que de foncer tête baissée dans un combat qu’on ne pourra plus gagner.
L’acceptation de soi avant tout
Cette idée d’acceptation est importante, parce qu’avant d’accepter une mort qui nous renverse, il faut aussi accepter ses émotions et la façon dont elles se manifestent, que ce soit dans les larmes, les cris de colère, les angoisses, mais aussi dans les sourires de souvenirs ou dans ce puissant désir de vivre qui nous donne de l’appétit pour tout.
Dans son livre Vivants jusqu'à la mort : Accompagner la souffrance spirituelle en fin de vie, le sociologue Tanguy Châtel rappelle l’importance de l’étymologie du mot “deuil”, “dolus” en latin, qui signifie deux choses : la douleur et la dualité. La dualité de notre propre vie face à la mort de l’autre, de la douloureuse présence de l’absence, mais aussi des souvenirs heureux entre les larmes du manque, et de son propre bonheur malgré la douleur, de soi et/ou de ses proches.
Vous n’avez pas à culpabiliser de ressentir ce que vous ressentez, même si ça n’a pas de sens par rapport à ce que la société estampille comme sensé. Si vous riez, c’est votre corps qui apaise vos angoisses, si vous pleurez, c’est votre stress qui s’évacue, si vous n’avez pas envie de vous confier, vous n’êtes pas chelou, si vous avez besoin de parler à un·e professionnel·le, écoutez-vous, si vous avez une fureur de vivre chevillée au corps deux jours après l’enterrement, c’est normal, c’est votre instinct qui équilibre le départ de quelqu’un.
Changer les règles
Pendant longtemps, ce sont les religions qui ont encadré le deuil, avec beaucoup de règles et d’obligations, puis nos sociétés se détachant progressivement du spirituel, les psychologues ont pris le relais, avec notamment la théorie des 5 étapes du deuil (un peu cloisonnée non ?), et enfin récemment, le monde du travail et ses “jours de congés décès” évalués brutalement en fonction des degrés de parentalité, comme s’il était impossible d’être plus proche d’une tante que d’un frère.
Cette nouvelle autorité du professionnel sur le personnel a rajouté au tabou du deuil. La mort est une question de perte, à l’opposé de nos sociétés productivistes qui valorisent les gains et les bénéfices. Et le temps de guérison parfois long n’est pas non plus compatible avec l’efficacité et l’immédiateté imposées par nos emplois.
Heureusement, les recherches en psychologie ne se sont pas arrêtées aux 5 étapes, beaucoup de professionnel·le·s savent prendre soin des personnes endeuillées en fonction des besoins de chacun·e, et reprennent une position majeure sur ce sujet. Tout comme le rapprochement récent au spirituel à travers l’ésotérisme, une quête très intime qui respecte notre rythme et nos propres règles. Il est temps de choisir comment vivre ce moment, de choisir son propre deuil.
3 chemins de deuil
Dans son livre Au bonheur des morts, Vinciane Despret parle des rendez-vous qu’on crée avec nos proches décédé·e·s, avec nos émotions et nos souvenirs. Certaines personnes dédient une heure d’après-midi dans le mois à ce rendez-vous, à s'asseoir sur un banc précis dans un parc précis pour repenser à tout ce qu’elles ont vécu avec l’être aimé. D’autres tirent les cartes pour discuter, demander conseil. D’autres encore s’offrent un resto ou une soirée ciné parce que la personne qui n’est plus là aurait adoré cette cuisine ou ce film.
C’est ce que Madga, interviewée par le podcast Emotions après avoir perdu son père, appelle “prendre soin de sa petite sépulture intérieure”. Nourrir ses émotions et ses souvenirs de la même façon qu’on arrose chaque semaine les chrysanthèmes.
Et c’est aussi ce qui nous fait penser à l’idée d’intériorisation de la personne abordée par Anne Pauly dans son livre Avant que j'oublie. C’est le fait de garder en soi la mémoire de la personne décédée, mais surtout ce qu’elle a créé en nous : ce qu’elle nous a appris, sa façon dont elle avait de voir le monde, ses conseils, son humour, ses mots justes et réconfortants, pour se les redire en cas de besoin. Faire vivre une personne en soi n’est pas contraire au deuil, c’est une forme de deuil.
Et enfin, il y a toutes ces personnes qui créent à partir du deuil, comme pour poursuivre le cycle de la vie : rien ne se perd jamais, tout se transforme. Ça peut être dans l’écriture, la peinture, la musique, la photographie, la création d’une association… Il y a des deuils qui ne créent que des larmes et c’est ok aussi. D’autres qui ouvrent une brèche dans le cœur d’où s’échappe un peu d’âme, une lumière qu’on peut mettre dans tout ce qui nous entoure et qu’on peut donner aux autres sous plein de formes. À vous de choisir la vôtre, de la garder ou de la partager. Le deuil n’est sombre qu’un temps, la grande lumière au bout du tunnel, c’est aussi pour les vivants.
Dans cet article on a parlé
Du roman Saturne de Sophia Chiche
Du livre Au bonheur des morts de Vinciane Despret
Du podcast Émotions de Louie Media : Le deuil, une métamorphose infinie
Du roman Avant que j'oublie d'Anne Pauly
Et on vous conseille aussi
Le TEDx Navigating the world of grief de Laura Thomas (en anglais)
L’interview de Sarah Chiche sur France Inter
Le film Penguin Bloom sur le deuil de soi, dispo sur Netflix
Le récit autobiographique L’année de la pensée magique de Joan Didion