La dermatillomanie, c’est quoi ?

 

Petit point sémantique pour commencer avec l’étymologie de ce terme alambiqué. Comme l’explique Camille Montaz, autrice de Mon histoire avec la dermatillomanie, ce mot vient des termes grecs derma (qui veut dire peau), tillo (aka épiler ou effeuiller), et mania (aka la manie ou la folie).

 

Il existe d’autres noms en français pour désigner cette pathologie, comme “l’acné excoriée des jeunes filles” (qui est le premier nom qu’on lui a donné, en 1898), le grattage compulsif, le trouble d’excoriation compulsive, le triturage incontrôlé, le grattage pathologique, la skinorexie, la cueillette de la peau, les excoriations neurotiques…

 

Cette farandole de termes renvoie en tous les cas à un seul et même trouble que l’autrice définit ainsi : « La dermatillomanie est un trouble qui se caractérise par des comportements de vérification, triturage (...) et/ou grattage, répétés, compulsifs, irrépressibles et obsessionnels de la peau (visage et/ou corps) ».

On pense souvent que cette pathologie est un TOC, mais elle tient en réalité plus d’une addiction comportementale. Plus précisément, elle fait partie des Comportements Répétitifs Centrés sur le Corps, ou Troubles du Comportements Répétitif Centré sur le Corps, aka des gestes répétitifs d’auto-toilettage - comme le fait de s’arracher la peau autour des ongles, les poils, les cheveux, ou encore de se mordre les lèvres et l’intérieur des joues.

 

On est donc loin du moment occasionnel pendant lequel on s’ambiance à éclater un bouton, un point noir ou un poil incarné.

 

 

D’où ça sort et pourquoi ce trouble ?

 

Vous vous reconnaissez dans cette description mais n’avez jamais entendu parler de ce trouble ? Autant vous dire que ce n’est pas étonnant, puisque la dermatillomanie n’a été officiellement classée qu’en 2013 parmi les troubles psychiques répertoriés dans le DSM-5 (aka Manuel Diagnostique et Statistique des Maladies mentales)... Et que sa définition n’a été traduite en français qu’en juin 2015 (!).

 

Pourtant, les (trop peu nombreuses) études réalisées sur la derma estiment que 2,1% à 5,7% de la population générale en souffrent. L’autrice de Mon histoire avec la dermatillomanie précise néanmoins que ces chiffres sont sans aucun doute très faibles et qu’un échantillon de personnes jeunes montrerait la vraie réalité de ce trouble. Car la dermatillomanie débarque le plus souvent à l’adolescence - favorisée par l’apparition de la puberté et de ses symptômes bien relous qui vont de l’acné au grand stress lié au chambardement hormonal (entre autres).

Notez bien ceci dit qu’elle peut aussi apparaître sans crier gare à l’âge adulte, et que (what a surprise), elle concerne bien plus généralement les femmes et personnes assignées femmes à la naissance. Rien d’étonnant puisque les troubles centrés ou associés au corps touchent généralement beaucoup plus les meufs (coucou les diktats qui nous rendent malades), comme c’est le cas par exemple pour les Troubles du Comportement Alimentaire ou la dysmorphophobie.

 

What’s more ? Eh bien, comme l’explique très bien le Dr Kluk dans cet article de Refinery29, le stress et l’anxiété sont les deux principales causes du développement de cette pathologie… De quoi en remettre une tartine d’un point de vue genré, puisque le pourcentage de femmes souffrant de troubles anxieux serait deux fois plus élevé que celui des hommes, selon la Haute Autorité de Santé. Il va sans dire néanmoins que, comme le rappelle Camille Montaz, des hommes cis et personnes non-binaires sont également touché·es par la dermatillomanie.

 

 

Dans la tête d’une dermatillomane

 

Déjà, dites-vous qu’au moment de la crise (qui peut durer plusieurs minutes à plusieurs heures), la personne qui souffre de derma entre dans une espèce d’état de transe : Camille Montaz explique d’ailleurs très bien comment on ne voit pas le temps passer pendant ces “séances” (#hypnotique), et comment s’adonner à ce triturage-arrachage de la peau donne le sentiment fort de créer de la rigueur, de la concentration, de purifier sa peau pour s’absoudre d’un chaos mental.

En fait, il faut bien comprendre que l’intention du dermatillomane à la base n’est pas de s’abîmer ou de se scarifier, bien au contraire, puisque « les triturages s’accompagnent d’un sentiment de plaisir ou de soulagement au moment de l’impulsion (geste auto-apaisant) ». L’enjeu ? « Remédier à la difficulté de mettre en mots la souffrance psychique sous-jacente. »

 

Gratter, percer, arracher, pincer, couper (et parfois jusqu’au sang) : toutes ces crises provoquent des lésions, plaies et cicatrices. Et un peu comme avec les addictions, les personnes qui souffrent de derma ont très envie d’arrêter mais ne peuvent pas s’en empêcher pour autant. Pas merci le combat contre soi-même… et la détresse psychique qui lui est évidemment associée.

 

Alors, une fois la crise passée, c’est l’horreur : les nombreuses marques et cicatrices laissées sur la peau entraînent un fort sentiment de culpabilité et de dégoût de soi (similaire à celui que l’on ressent après une crise de boulimie ou d’hyperphagie). Résultat : on peut passer des heures à tenter des opérations camouflages en mode fond de teint et autres correcteurs pour corriger le tir… Voire même (et bien souvent) annuler des rendez-vous, des sorties, des rencards parce qu’on se sent trop mal dans sa peau.

 

 

Petite liste de tips et idées pour les dermatillomanes (et leurs allié·es)

 

« Il ne faut pas toucher à ses boutons », « Arrête de te gratter », « Arrête de te toucher le visage, c’est pas compliqué ! » : autant de phrases que les dermatillomanes n’ont que trop l’habitude d’entendre et qui sont (oh fckn combien) cruelles - puisqu’elles ont à peu près autant d’efficacité qu’un « calme-toi » adressé à une personne en pleine attaque de panique.

Pire encore : ces petites phrases assassines (qu’on retrouve aussi bien dans la bouche des proches que du personnel médical) laissent en fait sous-entendre que l’état dans lequel se trouve la peau d’une personne qui souffre d’acné excoriée (par ex) est de sa faute et qu’elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même. Vous avez dit culpabilisation massive ?

 

 

Pour s’en sortir (ou bien accompagner une personne qui souffre de ce trouble), voici quelques pistes précieuses fournies par Camille Montaz (à compléter ASAP par la lecture de son génial livre) :

 

Débuter un travail psychique : les TCC (aka Thérapies Cognitivo-Comportementales) font des merveilles pour les personnes qui souffrent de dermatillomanie. En ligne de mire : travailler sur les émotions (et les habitudes mises en place pour les accueillir et les réguler), sur la gestion du stress ou sur son histoire de vie.

 

S’offrir un suivi dermatologique : un processus tout particulièrement utile pour les personnes qui souffrent d’acné en parallèle de leur dermatillomanie.

 

Se faire accompagner pour travailler sur son hygiène de vie : mieux bouffer, mieux dormir, mieux prendre soin de soi = autant d’opportunités de se sentir mieux dans sa peau (au sens propre comme au sens figuré).

 

 

Vous pouvez aussi vous armer de ces quelques idées récoltées par l’autrice au fil de ses crises :

 

Utiliser des objets anti-stress : « un tangle, fidget toy ou des anneaux magnétiques, une balle ou un cube anti-stress, de la pâte à modeler, du papier bulle, ou tout autre objet à garder en main (...) ». Le but : garder les doigts occupés pour éviter de gratter.

 

Foncer sur les crèmes : « mettre une crème très grasse ou très blanche, un masque hydratant ou du miel sur ma peau pour m’empêcher de la gratter ou de la voir ».

 

Protéger les zones à risque : « coller des pansements sur mes endroits les plus à risque pour ne plus y avoir accès ».

Et enfin, quoiqu’il arrive : auto-bienveillance, self-care, et gros hugs mentaux sont de mise <3

 

 

Pour aller plus loin

 

Mon histoire avec la dermatillomanie, un livre auto-édité de Camille Montaz, 316 pages, 24€

Le compte Insta de l’autrice : @peau.ssible