Vous vous reconnaissez dans cette description ? Félicitations et bienvenue au joyeusement encombré « club des bordéliques ». Pour vous guider aujourd’hui (et vous poser les bonnes questions), une Queen de choix se tient à vos côtés - aka Einat Tsarfati, qui vient tout juste de publier aux éditions Cambourakis un génial roman graphique sur le sujet. L’occasion de faire le point sur le dossier sans vous spoiler.


Portrait d’un·e bordélique en contexte

On ne naît pas bordélique, on le devient ? « Pas si sûre, Simone », répondrait sans doute Eilat Tsarfati. Et elle en tient pour preuve (plutôt convaincante avouons-le), qu’une « personne bordélique décide au moins quinze fois qu’à partir de la semaine suivante, elle commencera à mieux s’organiser. »

Et à raison puisque rester bordélique semble complètement contre-productif : une personne bordélique passe ainsi selon l’autrice en moyenne 5 années de sa vie à chercher les clés de sa maison. Deux ans et demi à chercher où elle a bien pu poser son téléphone. Et le reste du temps à chercher ses foutus Air Pods, ses épingles à cheveux, sa carte bleue (et son code ?) et on vous en passe. 

Au-delà du temps fou passé à chercher des objets dans des lieux familiers qui nous semblent soudain hostiles, il y a aussi d’autres ennemis qui se dressent sur la route de la personne bordélique. Par exemple : sauriez vous nous dire combien de fois vous avez passé la tête (et les deux bras) dans votre sac à chercher ce truc que vous étiez bien sûr d’y avoir fourré à un moment donné ? Et la fameuse « chaise à foutoir de la chambre », on en parle ? 


Mais alors pourquoi être bordélique, bordel ? 

Mais si ça semble si improductif (et rageant, faut bien l’avouer) d’être bordélique, alors pourquoi certain·es d’entre nous le sommes (et le restent) finalement ? 

Dans les premières pages de son livre, l’autrice donne une piste de réponse : puisque les personnes bordéliques passent leur temps à se dire qu’il faudrait ne plus l’être, elles sont « condamnées à échouer, en moyenne 1275 fois dans leur vie. Et à se faire moins confiance à la suivante. » Un peu d’inné et une pointe d’auto-destruction dopée à la prophétie auto-réalisatrice ? Cul sec. 

Pourtant, il est important de noter (contrairement à ce que pourraient croire des personnes non-bordéliques voire carrément organisées), que le/la bordélique souffre de cet état de chaos permanent qu’iel engrange automatiquement. 

Comment vivre en effet sans paniquer la moitié du temps quand on n’est jamais vraiment sûr·e de n’avoir pas perdu son portable ou ses clés ? Comme le dit très bien l’autrice (qui connaît bien bien son sujet) « le plus déprimant, c’est de ne jamais se sentir en sécurité ». 


Bordel partout, bordel nulle part ?

Évidemment, il faut qu’on se pose la question : c’est quoi le bordel ? Où commence-t-il ? On sait qu’il est là quand on le voit mais sinon, qu’en est-il ? 

Commençons déjà, en nous appuyant sur la lecture du roman graphique d’Einat Tsarfati, à distinguer deux types de bordel : le matériel (comme un paquet de chewing-gum vidé au fond de votre sac à main), versus l’immatériel (« le point de départ le plus originel de l’univers, il naît du chaos qu’il s’applique à étendre » selon l’autrice). 

Ouais, la meuf a dit « le point le plus originel de l’univers » (elle a osé). Parce que selon elle il y a une sorte de magie à ce que provoque le bordel (poke le bigbang ou l’invention de la pénicilline). 

Philosophe, elle nous lâche ces quelques mots qu'on se garde sous le coude : : « Peut-être que distinguer la face matérielle de la face immatérielle du bordel n’est pas une bonne stratégie pour mettre de l’ordre autour de nous. De même que nier le désordre peut conduire à un raz-de-marée émotionnel, l’inverse peut aussi arriver. Un foutoir émotionnel peut ainsi se transformer en une montagne de linge sur votre canapé. Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il faut affronter le bordel parce qu’on ne peut pas le vaincre, le cacher ou le fourrer au fond d’un tiroir. Il faut savoir comment le dompter. Avant que ce soit lui qui vous terrasse. »


Est-ce que c’est grave d’être bordélique, alors ? 

L’invention des post-its. Le surlignage fluo sur les papiers importants. Les cartes de navigation et Google Maps, la montre, les agendas et les calendriers… Autant d’inventions qu’égrène l’autrice pour nous rappeler que « l'histoire de l’humanité est un long effort pour mettre de l’ordre dans notre bordel quotidien ».

Bref : selon elle, il est donc naturel qu’il y ait des personnes qui soient capables d’utiliser ces outils d’organisation mis à leur disposition… Autant que le fait qu’il y ait des personnes qui galèrent un peu (beaucoup) plus que la moyenne a en faire autant pour ENFIN devenir organisé. 

L’autrice, qui ne mâche pas ses mots, tend à nous dire que si, enfant, nous avions propension à être bordélique, il y a franchement peu de chances que ça s’arrange dans les « années adultes » : « (...) dans la vie d’un adulte moderne, il y a plus de tâches et de responsabilités, et le nombre d’objets qu’on peut égarer augmente. Plus on grandit, plus on a de choses à perdre, de rendez-vous à oublier (...). »


ALORS serions-nous voué·es, nous autres bordéliques, à errer dans un chaos permanent en essayant de faire moins pire que moins bien ? Dans un certain nombre de situations, peut-être. Parce que la phobie administrative is real. Et parce que ce n’est de la faute de personne s'il y a de la place pour foutre des trucs sous son lit.


Résoudre le bordel du bordel du (...)

Vous aviez rangé. Vous avez rangé. Vous avez promis de ranger demain. Vous allez ranger tout à l’heure. Vous avez l’impression de ranger tout le temps. Félicitations : vous entrez dans ce que l’autrice décrypte comme étant le cercle infernal du bordel. Ce cercle, nous rappelle-t-elle, « est composé des trois faiblesses humaines les plus toxiques et les plus charmantes : l’insouciance, la négligence, et la panique ».

Parce que personne n’a envie de passer sa vie à flipper / tout remettre à plus tard / faire semblant de n’en avoir rien à foutre, il ne reste pas beaucoup de solutions : il faut briser le cercle infernal. Et comme ce n'est pas (mais vraiment, jamais) gagné, Einat Tsarfati nous file dans son incroyable roman graphique quelques pistes pour naviguer / pagayer en eaux troubles. Déjà, elle classe les objets en gentils versus méchants. Ensuite, elle esquisse les contours de 5 lois, qui, si elles sont respectées, peuvent vous éviter de sombrer dans le chaos.

De la loi de l’équilibre à celle de la ligne droite en passant par celle de la rose et des épines… On vous laissera découvrir dans le livre les contours tracés par l’autrice pour foutre la misère au bordel (exemple savoureux : « posez un un bel objet dans un endroit central. La pièce ne sera pas mieux rangée mais cet objet donnera l’impression qu’elle a été agencée avec goût et style. »)

Loin de se résumer à vous filer des lois triées sur le volet, l’autrice vous apprendra au passage comment ranger votre bureau sans le ranger (très pratique) - idem pour la cuisine, le salon ou le frigo.

Ce qui nous ramène toujours à cette fameuse conclusion : résoudre le bordel du bordel c’est, finalement, jamais plus que d’essayer de le contenir. Et c’est déjà bien. 


Docteur, est-ce que je suis bordélique ? 

Alors, nous ne sommes pas Docteures mais deux choses : 1/ si vous êtes bordélique, à votre âge, vous le savez probablement déjà, 2/ vous trouverez dans le Guide pour une vie désordonnée de l’autrice un certain nombre de tests (dont celui de la serviette ou du placard) qui sauront vous orienter vers un diagnostic fiable.

Si vous êtes bordélique (et il y a de grandes chances que vous le soyez si vous lisez cet article), alors une fois le diagnostic posé, on entre dans le vif du sujet : déterminer quel type de bordélique vous êtes. Oui, parce qu’on n’allait quand même pas s’arrêter là. 

Selon l’autrice, on pourrait dire qu’il existe 6 « grands types » de bordéliques… Mais en réalité, c’est beaucoup plus que ça. Elle cite par exemple les procrastineur·ices, les menteur·euses, les sceptiques, les flamboyant·es, les nonchalant·es (et on vous en passe un sacré paquet, vous verrez). 


Le « bordelic priviledge »

Que vous soyez une férue du rangement permanent ou un bordélique notoire, à ce point de l’article, vous êtes sans doute en train de vous dire que c’est quand même sacrément relou, le bordel. Mais rassurez-vous (ou jalousez-nous), car il existe (tout comme on peut considérer que c’est le cas pour l'hypersensibilité), une espèce de « bordelic privilège ». 

Autrement dit : ou comment faire de sa propension à être bordélique un super-pouvoir.

Einat Tsarfati nous explique, par exemple, qu’une personne bordélique doit faire appel bien plus souvent à un pouvoir d’improvisation et de créativité (« vais-je pouvoir enjamber le balcon du voisin pour rentrer par la lucarne de ma salle de bains aujourd’hui ? »), ou encore de voyager mentalement dans le temps et dans l’espace (« vais-je réussir à me souvenir où est ce truc que j’ai vu il y a un mois sous le canapé mais que je crois avoir peut-être déplacé depuis ?»).

Quelques autres de ces super-capacités (détaillées par le menu dans le livre) ne sont, elles non plus, clairement pas négligeables.


Que faire de tout ça ? 

Eh bien, une seule chose : foncer livre le génial roman graphique d’Einat Tsarfati. Vous n’y apprendrez certainement pas à ranger, non. Mais vous vivrez plus légèrement (et philosophiquement) votre vie de bordélique. Car comme l’autrice du livre le dit si ingénieusement (et espièglement) : « Les gens naissent et meurent dans le chaos. Et ce qu’on a de mieux à faire dans l’intervalle est de ne pas passer notre temps à ranger ». 

Allez on vous laisse : on retourne essayer de ranger notre chambre / salon / bordel en construction. Qui sait : peut-être que ça va marcher cette fois-ci ?

Je suis bordélique - Guide pour une vie désordonnée, un roman graphique d’Einat Tsarfati, Traduit de l’hebreu par Rosie Pinhas-Delpuech, à découvrir aux Ed. Cambourakis, 22€.
 

I. Malèej