Le courrier

 

« Je suis née avec une maman déprimée et très instable psychologiquement. Depuis, je tente constamment de la satisfaire, de la rendre heureuse (et de rendre tout mon entourage heureux, je suis attirée par les personnes déprimées). J’aimerais savoir comment ne plus dépendre de ses états d’âme qui me pourrissent la vie. Comment se débarrasser de l’obsession de vouloir réparer un parent déprimé ?

Merci pour ce que vous faites et bien à vous. »

 

 

La réponse

 

Chère C.

 

Tu as grandi en adoptant une posture de pourvoyeur de soins pour ta maman et as pris très tôt (trop tôt ?) des responsabilités d’adulte. Cette posture se retrouve aujourd’hui dans tes relations, qui peut être révélateur d’un syndrome du sauveur - aussi appelé co-dépendance. Cela soulève la question de la frontière entre l’empathie et l’abnégation pathologique…

 

Ta posture envers ta maman a été tout ce qu’il y a de plus naturel : quand un enfant est dans un foyer qui dysfonctionne, il met en place différentes stratégies pour sauver ses parents, tout ce qui est dans ses moyens pour tenter de réparer.

 

Et pourtant il s’agit bien là d’une illusion, puisque c’est mission impossible… Ce n’est pas le rôle d’un enfant de sauver ses parents. Le fait est que chaque adulte est responsable de son bien-être. De même que nous n’avons pas le pouvoir de rendre heureux quelqu’un.

 

Ta maman n’a pas à être réparée, ni sauvée… C’est à elle de se prendre en charge. Tu le sais, beaucoup de mamans vivent un mal-être chronique et nombre d’entre elles se font accompagner. Ce n'est pas ton “chemin de croix” et tu as le droit de te dissocier de son mal-être et surtout de vivre ta vie pleinement.

 

Certes, elle a besoin de ton amour. Mais rien ne dit que cet amour doit être dévouement, sacrifice et sauvetage. Et si cet amour entrave ton bien-être, ton épanouissement : il y a dysfonctionnement.

 

Aujourd’hui c'est à toi de décider comment tu souhaites continuer à alimenter votre lien et quelles sont les limites que tu souhaites dresser. Il y aura probablement un temps de transition, le temps de conscientiser tes schémas comportementaux et de reconstruire tes codes, tes besoins, tes limites… Tu as souffert de la situation et ça laisse des traces.

 

 

Ta relation aux autres

 

Tes relations semblent également se construire sur ce modèle de l'aidant et de l'aidé·e et tu as une faculté à attirer des partenaires, ami·es, collègues, qui ne vont pas bien.

 

Pour beaucoup, les enfants qui deviennent les parents de leurs parents deviennent des adultes sauveurs. Et dans leurs relations, les sauveurs reproduisent le modèle “aidant-aidé·e” qui est leur référentiel et leur normalité.

 

Dans les grandes lignes : l’amour qu’iels recherchaient en essayant de sauver leurs parents, ils continuent à le rechercher dans leurs relations d’adulte. Comme une manière d’exister, de se sentir aimé·e et de se (re)valoriser à travers le secours, les soins et les sacrifices qu’iels portent aux autres.

 

Et ces profils ont tendance à confondre générosité et abstraction (voire déni) de soi. Parfois, quand il y a une estime de soi affaiblie et même une forme de déni de soi, on attire des personnalités destructrices ou souffrantes. Et quand on a pas l'habitude de relations “fonctionnelles”, ça sonne étrange voire inconfortable quand les relations sont belles. Concrètement, les schémas souffrants du passé peuvent rendre myope à l’amour.

 

Il serait aidant dans un premier temps de faire le point sur tes besoins, sur ce que tu veux vivre, partager et ressentir dans tes relations à partir de maintenant. Clarifier ce qui est important pour toi et ce que tu veux voir se réaliser dans ta vie.

 

Je te propose par la même occasion un petit examen de conscience préliminaire :

 

# Y’a t-il une demande de sauvetage explicitement formulée dans tes relations ?

# Quels sont tes besoins dans une relation ? (amicale/amoureuse/professionnelle…)

# Quelles valeurs doivent être nourries ?

# Que souhaites-tu ressentir dans ces relations ?

# Y-a t-il des activités dans lesquelles tu pourras t’investir et transposer ton besoin d’aider et de soutenir ?

 

 

Prendre tes dispositions pour avancer

 

Engager les changements bénéfiques pour toi va nécessiter une grande force morale, de l'indulgence envers toi-même et de la patience.

 

Je t’encourage à te faire accompagner par un·e thérapeute compétent·e sur ces sujets. Un·e thérapeute qui sache ce qu’est une famille dysfonctionnelle, qui accueillera tous tes sentiments, tes paradoxes et tiraillements, avec qui tu te sentiras comprise, sans culpabilité, ni gêne, ni frustration.

 

L’accompagnement va induire une forme de rééducation émotionnelle sur certains sujets et voici les axes bénéfiques que j’entrevois pour toi :

 

1/ nettoyer tes schémas de co-dépendance

2/ identifier tes réflexes, postures et schémas de répétition, dans tes modèles de relation

3/ faire le deuil de ceux que tu n’as pas réussi à sauver

4/ conscientiser ton système de valeurs pour créer de nouvelles relations plus fonctionnelles pour le reste de ta vie

5/ retrouver un équilibre entre image de toi et celle que les autres te renvoient

6/ réhabiliter ta capacité à recevoir et t’ouvrir à l’amour

 

Important : à mon sens, évacuer la charge ne se fera pas uniquement par le travail psychique via la parole, car le mental ne fait pas tout.

 

L’inconscient se trouve aussi dans notre corps, c’est pourquoi je te préconise également une activité sportive régulière qui te redonnera un cadre, un rythme corporel et des sensations régulières. Le sport est le régulateur de stress et d'anxiété par excellence.

 

Par ailleurs, si l'hypnose t’intéresse sache que - quand elle est bien menée -, elle complète bien le travail de la psychothérapie.

 

Enfin, je l’évoquais plus haut : t’investir activement dans des projets / activités / métiers tournés vers les autres, l’écoute, l’accueil, le soin, l’entraide, serait une piste potentiellement nourrissante.

 

Et si tu faisais de TOI ta priorité ?