LA QUESTION

 

Chère Anissa, j'ai rencontré un garçon il y a 2 ans, on a partagé une belle connexion et j’ai développé des sentiments pour lui (que je pensais réciproques au vu de ses dires). Quand on se voyait, tout se passait bien mais après il disparaissait pendant des semaines. Durant des mois il a juste liké mes stories insta, sans pour autant me demander des nouvelles.
 

Je sais qu’il est passé à autre chose, qu’il a une copine mais moi je reste focalisée sur lui avec un arrière-goût de relation non aboutie. Je pense encore énormément à lui, même si je l’ai supprimé de mes réseaux.
 

Je n'arrive pas à le sortir de ma tête, et le fait de vivre dans la même ville que lui ne m'aide pas, je calcule tous mes faits et gestes au cas où je le croiserai dans la rue, je ne peux pas sortir sans avoir une boule au ventre… J'aimerais beaucoup pouvoir passer à autre chose car cela me pourrit la vie et me bloque avec les autres hommes que je peux rencontrer, dans ma tête il n'y a que lui qui compte, c'est une obsession.

 

Merci pour votre réponse…

 

LA RÉPONSE

 

Chère E.,

 

Cette notion d'obsession est un sujet important qui revient souvent dans mes consultations. L'obsession est un mécanisme inconscient qui fait partie du processus amoureux. Lors de l’engouement amoureux, il peut être “normal” d’être en quelque sorte obsédé·e par l’objet de ses passions, cela se lisse ensuite tranquillement dans le temps.

 

En revanche, lorsque l’obsession s’installe sur la durée, elle peut être source de grandes douleurs, d’un sentiment de dépossession de sa vie amoureuse, comme si on arrivait plus à agir comme on le voudrait. Elle peut devenir handicapante et bloquer un processus de deuil relationnel.

 

Ces blocages intérieurs fréquents chez les protagonistes de relations “inachevées” relèvent souvent de dissonance cognitive que le cerveau a beaucoup de mal à gérer, mais aussi de l’absence de ritualisation de la rupture. Dans des cas plus extrêmes, ils peuvent être la conséquence de schémas d’emprise ou de troubles anxieux.

 

Quand l’incohérence crée l’obsession

 

Quand la différence entre ce que tu ressens, pense, vis à l’intérieur de toi, et entre ce qu’il te dit, fait, manifeste est trop flagrante : il y a dissonance cognitive.

 

Illustration : quand un homme nous « tu es une femme extraordinaire », « tu es la femme de ma vie » ou “« je ne me suis jamais senti aussi bien qu’avec toi », et que dans les faits il disparait pendant des semaines, ghoste, prend peu de nouvelles ou nous dédie du temps de manière très sporadique, notre cerveau bugge tout naturellement.

 

Pour cause, ce genre de schéma induit au cerveau la recherche permanente de sens, de rationalisation et de cohérence, entre ce qu’il ressent, voit, entend, vit. Et lorsqu’il y a dissonance, la confusion engendre dans nos états internes un florilège de mécanismes : de la culpabilisation (« c’est de ma faute », « j’ai peut-être pas fait les choses comme il faut »), de la minimisation ou de la victimisation de l’autre (« le pauvre il n’a pas le temps, sa vie est compliquée »). Dans ce genre de contexte, le cerveau auto nourrit et auto construit l’obsession à travers le prisme de l'inconscient et des filtres de perception confus. Il n’a plus la capacité de poser son regard au bon endroit et d’observer les faits de manière neutre. Cela amène hélas souvent à une fragilisation de l'estime de soi.

 

Note à nous toutes : l’incohérence de l’autre est un gros red flag qui doit être débunké et stoppé.

 

L’inachevé crée aussi l’obsession

 

L'humain souffre de parenthèses restées ouvertes, de points de suspension, de points d'interrogation… tout simplement parce que le cerveau a besoin de points finaux.

 

Les histoires ou passions avortées et les connexions spéciales et intenses qui n'ont pas eu l’occasion de se développer peuvent créer une forme de sidération qui va se figer dans le processus de deuil relationnel. Une histoire inachevée peut empêcher le processus de se faire, parce que la fin de la relation n’a pas été marquée, ritualisée… ce qui amène une fois de plus le cerveau a un bug supplément sensation de regret, d'incompréhension, de gâchis et d’auto-flagellation. On demeure seul.e avec nos interrogations.

 

Important : la ritualisation de la rupture permet de passer d’une étape à une autre, de séquencer une relation, pour injecter à l’inconscient et au conscient les processus à opérer pour avancer et archiver « le dossier ».

 

  • De quoi aurais-tu besoin pour avancer ? Qu’est ce qui -pourrait t’aider à te libérer de son fantôme ?
  • Y a-t-il des questions restées en suspens ?
  • As-tu des choses à lui exprimer? (des non-dits par exemple, des choses qui t’ont peinées ou à l’inverse des remerciements pour les super moments que vous avez passés ensemble?)
  •  Est-ce qu’un RDV, une lettre, un mail, une note vocale structurée, une discussion pourraient t’aider dans le processus ?
 

L’interdiction nourrit l’obsession
 

Bien souvent je constate que ce qui nous bloque dans un processus c’est le manque de permission et les verrous qu’on se met à soi-même.
 

Partons du principe que la libération ne viendra pas des actes ou dires de l’autre, mais de ta responsabilisation, de ta propre capacité à t’extirper toi-même de la situation de blocage. Dans ce sens, si tu as encore des choses à lui dire, si tu as des questions à lui poser, je t’invite vivement à t’autoriser à le faire, pour nourrir tes besoins avant tout. T’autoriser à proposer, à reprendre contact et à livrer ce que tu portes en toi.
 

Cet homme ignore probablement tout ce que tu as à lui exprimer (il semble être passé à autre chose), et il y a des chances qu’il accueille tes partages en simplicité, si tu te fixes pour objectif de libérer ta charge émotionnelle, de clôturer le dossier et de faire place propre. Si tels sont tes objectifs : tes messages, le ton et la manière de les exprimer ne seront ni du registre du reproche, du drama ou du règlement de compte. Une discussion saine et responsable est possible. Et si tu te sens capable et prête à libérer la charge pour aller de l’avant, il se peut que les choses se passent avec une fluidité qui pourra te surprendre et t’être fort bénéfique. Si cela ne suffisait pas, l’aide d’un.e professionnel.le peut être un renfort sûr et efficace pour « dé-mécaniser » /dénouer le mental, trouver de nouveaux points de vue et refaire le puzzle de la relation.


Lorsque quelqu'un nous touche profondément, le cerveau a la capacité de faire son deuil si on lui laisse le temps de vivre ses cycles : le déni, la tristesse, l’abattement puis la colère (une émotion qui vient réparer / réclamer justice). Et parfois on peut revenir dans le déni et réitérer cette boucle. Cela peut durer un temps, et il convient de l’exprimer, d’y retourner, et d’y aller autant de fois que nécessaire, parce que cela permet au processus de se faire.
 

S’en sortir pour de bon


Outre la ritualisation que j’évoquais, le processus passe aussi par le corps et une nouvelle remise en mouvement.
 

J’encourage systématiquement à redynamiser sa vie sociale, professionnelle et personnelle. À se remettre dans une dynamique d’exploration et d’apprentissage, pour trouver de nouveaux points de fixation (si ta capacité à être obsédée existe quelque part, c’est une aptitude qui peut potentiellement être redirigée ailleurs, notamment des projets constructifs pour toi).


J’ai personnellement surmonté une obsession amoureuse de longue durée en me formant, en faisant évoluer radicalement ma vie professionnelle et sportive. J’ai exploré de nouvelles disciplines qui ont fait que moins mon obsession avait de place et de temps pour s’exprimer, plus elle diminuait. J’ai fait en sorte de rediriger mon mental, mon corps, mes ressources et mes points forts vers du suffisamment ambitieux et “stressant” (dans le sens prenant et excitant) pour absorber une bonne partie de mon énergie. Je me suis créé un nouveau cadre de vie qui m’a permis d’exprimer de nouvelles obsessions bénéfiques et nourrissantes pour moi. Puis j’ai enfin réussi à travers ce processus à m’ouvrir de nouveau à l’amour, il m’aura fallu près de 3 ans.


Je te rassure, pour chaque personne la recette et le rythme vont être différents. Cela dit, le mécanisme de psychologie comportementale et reprogrammation sous cette dynamique reste sensiblement le même.


Je pose ça là : et si cette obsession amoureuse parlait de toi et venait mettre la lumière sur d’éventuelles redirections nécessaires dans ta vie ?

Que souhaites-tu voir se réaliser dans ta vie ?

Comment souhaites-tu te réaliser dans la vie ?

Vers quels projets t’orienterais-tu si tout était possible ?

Par quoi tu peux commencer pour aller dans cette direction ?



Prévention : l’obsession et les troubles anxieux.

Il existe des obsessions qui ne peuvent être raisonnées, que l’on nomme névroses obsessionnelles. Elles ne concernent pas les contextes de dissonance, d’inachevé ou de relations d’emprise. Il s’agit plutôt de voix intérieures, de présences à l’intérieur de soi qui viennent déposséder d’une existence normale. Il existe différents degrés de névroses obsessionnelles qui nécessitent une prise en charge par un médecin psychiatre.