Dysmorphophobie : qu’est-ce que c’est que ce mot à rallonge ?

 

En très gros, c'est une obsession pour une ou plusieurs parties de son corps qu’on trouve au mieux disgracieuses, au pire affreuses. C’est un nez énorme, des seins inexistants, des bourrelets qui pullulent… surtout dans notre tête et seulement dans notre tête. Cette fixation, souvent infondée, entraîne un réel mal-être. La dysmorphophobie est un trouble obsessionnel compulsif (TOC) selon le DSM, le manuel de référence de la psychiatrie et cette maladie touche 2 à 3 % de la population, en majorité des femmes.

 

« Je culpabilise et je me dis que mon corps le dégoûte »

 

« J’ai découvert ce mot grâce à YouTube et TikTok, raconte Louise, 21 ans. Ça m’a permis de comprendre ce que j’avais depuis cinq ans. Le matin, quand je me réveille, je trouve mon ventre hyper plat. Par contre, le soir, dans la douche, je me trouve ‘’grosse’’, j’ai l’impression que tout est gros sur moi. Alors je me mets la pression en mode ‘’faut que je mange de la salade demain et faut que je fasse deux heures de sport tous les jours’’. »

Si le sujet a été traité dans des magazines sociétaux ou féminins, l’influence de ce trouble psychiatrique sur la vie sexuelle des femmes est rarement analysée. Pour Louise pourtant, la maladie a grandement compliqué ses premières relations sexuelles. « Je ne voulais pas me montrer sans t-shirt avec mon premier copain. Avec mon mec actuel, quand je me trouve belle mais qu’il n’a pas forcément envie, je culpabilise et je me dis que mon corps le dégoûte », désespère l’étudiante. Fanny, 32 ans, estime quant à elle avoir eu des premiers rapports sexuels « assez tard » à cause de la maladie. « Je me suis renfermée sur moi-même, je ne me jugeais pas capable d'attirer physiquement des hommes parce que trop grosse alors que j'avais l'air malade. » À l’époque, Fanny souffre d’anorexie sévère.

 

« On ne peut pas se concentrer sur son ressenti sexuel »

 

Pour d’autres femmes, les coups d’un soir peuvent aider, temporairement, à conjurer le sort. Car cet homme qui pourrait observer nos défauts, on ne lui parlera plus jamais. C’est en tout cas ce qui aide parfois Margaux, 28 ans. « Je trouve ça vraiment plus simple de coucher avec des partenaires que je ne connais pas, car leur regard m’atteindra moins ». Avec les hommes qui la draguent, ce n’est pas la même histoire… « Malgré les compliments ou même les avances que je peux recevoir, je me sens hideuse et il m’est de plus en plus compliqué de passer à l’étape des rapport sexuels. »

Le rapport à la sexualité est, donc, de fait, complexifié et ultra-psychologisé. Et tout le monde s’accorde à dire que les meilleures baises, ce sont avant tout celles où l’on s’oublie… « Quand on souffre de dysmorphophobie, on n’est pas à l'intérieur de soi, on est engagée dans le contrôle du regard de l'autre. On ne peut pas se concentrer sur son ressenti sensuel, sexuel ou corporel », analyse Sophie Pilcer, psychologue et sexologue.

 

Un seul corps de femme acceptable

 

Toutes les femmes interrogées pour cet article affirment que les normes de beauté ont influencé leur vision d’elle-même. « Il y a une part indubitable de machisme là-dedans, analyse Marie, 27 ans. Les représentations quotidiennes du corps des femmes n’en montrent qu’un : diaphane, filiforme. Être comme ces femmes – qui ne sont qu’un idéal très masculinisé et occidental du corps féminin – c’était mon rêve quand j’étais ado. J’en suis venue à détruire ma santé pour y parvenir. »

Même son de cloche chez Margaux, qui dénonce le lourd impact du machisme : « Nous sommes confronté·es au quotidien aux mots ‘’régime’’, ‘’bikini body’’, à des posts Instagram de corps avant/après, à des affiches dans le métro qui montrent des mannequins taille 34… La société patriarcale nous fait croire qu’un seul type de corps est acceptable ». « On n’attend pas d'une femme qu'elle prenne “de la place” dans l'espace social », renchérit Fanny.

Comment faire pour lutter au mieux contre cette maladie qui pourrit la vie ? Sophie Pilcer donne quelques tips : « Il faut essayer de comprendre d'où ça vient. Ça peut être un élément déclencheur comme une moquerie dans l'enfance ou dans l'adolescence, un regard non bienveillant, quelque chose qui semble anodin et qui finalement prend racine. La deuxième chose, c’est de communiquer. Il y a des manières de faire preuve de sensualité, de douceur. Prendre le temps de se regarder, d’embrasser l’autre. La sensualité crée de l'excitation, qui sera plus forte que l'agitation mentale ou le stress. » Contre notre propre violence, du calme et des bisous.


Maud Le Rest