Comment faire le deuil de son job de rêve ?
Chronique Saturnienne #3
Il était une fois, des millenials qui croyaient encore au mythe de la carrière.
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« Ça y est j’ai quitté mon job. Chômage here I come. » C’est Julie* qui m’écrit, fébrile, pour m’annoncer la nouvelle. Elle sait que je vais la féliciter, contrairement à ses parents qui vont flipper de voir leur fille de trente ans quitter un CDI, et à ses collègues qui se demandent si elle a complètement pété les plombs. Pour mes ami.es, ces dernières années, je suis devenue référente chômage – ou plutôt référente crise existentielle. Je suis la pote qui, quand vous quittez votre taf sur un coup de tête (ou après des années d’hésitation) vous attrape par les épaules et lâche la voix tremblante et la larme à l'œil : « Tu es libre désormais. »
Vous voyez le concept de « Grande démission » dont on entend parler depuis la pandémie ? Un phénomène sociologique venu des États-Unis qui pourrait bien avoir traversé l’Atlantique selon les stats du Ministère du travail : « Fin 2021 et début 2022, le nombre de démissions a atteint un niveau historiquement haut, avec près de 520 000 démissions par trimestre, dont 470 000 démissions de CDI. » Et vous voyez le pic, là, en 2020, sur la courbe des démissions de CDI ? Voilà, ça c’est moi.
À 27 ans, en pleine pandémie, j’ai fait le choix de quitter un CDI, mon premier job de journaliste (mon fameux « job de rêve ») et par la même occasion le peu de stabilité dont je disposais. J’étais dans un état d’épuisement avancé, j’avais perdu foi dans mon métier, j’avais fait cinq ans d’études pour charbonner les quatre suivantes dans des conditions managériales et financières fort questionnables, j’avais un prêt étudiant sur les bras et une dépression qui me pendait au nez… BREF : j’avais besoin d’un break, mais je n’avais pas un centime de côté et pas d’autre soutien financier.
Petite éloge du chômage
La bonne nouvelle, c’est que contrairement à nos ami.es états-unien.nes, on a un système de chômage encore à peu près digne de ce nom – mais profitez-en car toutes les bonnes choses ont une fin (ou un gouvernement ultralibéral). Pour celleux qui ont besoin de l’entendre : être au chômage ce n’est pas un échec, et ce n’est pas la honte. C’est un droit, c’est un système de protection sociale, c’est l’État et les cotisations des entreprises qui viennent soutenir une période de transition dans nos vies. Toutes les situations sont différentes, dans mon cas je ne pouvais pas en vivre, mais ça m’a donné un peu d’espace pour respirer et réfléchir à la suite.
Seulement voilà, le chômage, c’est le monstre sous le lit de toustes les millenials biberonné.es à la hustle culture. Et pour cause, on a été élevé.es par des générations pour qui le travail a effectivement payé, qui, souvent, ont fait le même métier toute leur vie même s’il était toxique et/ou précaire, et iels ont du mal à réaliser que le monde a changé. On fait des études sans trouver de job, on travaille sans pouvoir se loger, et même quand on a tout ça, on s’épuise, et on manque de sens.
Sans même parler de démissionner, ne serait-ce que repenser notre rapport au travail, travailler moins, changer de carrière, ou choisir de faire un boulot alimentaire pour se réaliser ailleurs, sont des conversations difficiles à avoir avec nos familles, nos partenaires, et honnêtement, avec nous-mêmes.
La question du travail est tentaculaire car elle est au centre de nos vies. Elle bouscule tout et mène vite à d’autres problématiques : l’argent, le logement, les enfants, notre utilité dans la société, notre rapport à la hiérarchie, à nos parents... Je vous invite à explorer ce qui vous touche de près, car mon point de vue est évidemment situé. Il y a de nombreuses contraintes économiques, sociologiques, physiques, psychologiques, des discriminations dont je ne peux pas parler, raciales ou validistes par exemple, qui impactent le rapport au travail, à la réussite et à la carrière.
Dites, vous aussi vous avez cru au mythe de la carrière ?
Ce qui est drôle, c’est que quand j’ai rencontré Julie, elle n’en avait rien à faire d’avoir une carrière. Pour elle, le travail était juste un moyen de gagner de l’argent. Sa profession ne la définissait en aucun cas. Je ne savais même pas que c’était possible, ça a fait comme une sorte de bug dans mon cerveau (aka mon initiation à l’anarchisme). Pour moi, le travail, c’était l’ascension sociale. Avoir une carrière c’était fuir mon milieu d’origine, me « réaliser », devenir « quelqu’un ». Je suis un·e transfuge de classe, ce qui veut aussi dire que j’avais un syndrôme de l’imposteure et une peur de l’échec gigantesques. J’avais l’impression que ma carrière validait mon identité. Quitter mon « job de rêve », c’était donner raison à celleux qui m’avaient pensée incapable d’y arriver. C’était renoncer à l’étiquette de celle qui a « réussi ». Mais pour continuer de « réussir » j’avais le choix entre m’asseoir sur mes principes, ou rester précaire. Dans tous les cas, j’étais perdante. J’avais la sensation qu’on m’avait menti.
J’ai mis du temps à me rendre compte que j’avais été ultra-impactée par le féminisme girl-power-blazer-à-épaulettes-les-femmes-aussi-peuvent-réussir des années 90 et 2000 et toute cette pop culture scintillante à la sauce capitaliste. Mon film préféré quand j’étais ado, c’était La Revanche d’une blonde. J’en avais retenu une forme de « quand on veut, on peut » sans vraiment comprendre que c’est effectivement très facile pour Elle Woods de vouloir et pouvoir car elle est RICHISSIME. Je n’avais pas non plus réalisé que la situation financière de Carrie Bradshaw, censée venir, comme moi, de la campagne et d’un milieu très modeste, était absolument irréaliste (si écrire des chroniques payait des Jimmy Choo croyez-moi je le saurais). C’est seulement à 27 ans, après environ 36 visionnages des 6 saisons de Sex and the City, que je me suis aperçue que Carrie n’avait pas vraiment d’existence en dehors du travail et des hommes. Et tout à coup, I couldn’t help but wonder qui elle pouvait bien être si on lui enlevait ça.
© HBO / Sex and the City
De quoi rêver si ce n’est pas d’un job ?
« Mais quel rapport avec Saturne ? » vous entends-je grommeler dans votre barbe. Ravie que vous posiez la question. La carrière, c’est une thématique très Saturnienne, car elle touche souvent à l’identité, à l’authenticité, à des choix de vie fondamentaux. Si vous avez manqué les précédentes chroniques, on décortiquait pour vous le retour de Saturne, ce phénomène astrologique qui vient mettre le feu aux poudres de votre trentaine.
Lire aussi : Vous avez la trentaine et tout fout le camp ? Saturne est de retour.
L’une des raisons pour lesquelles quitter mon « job de rêve » était si difficile, c’est que mon identité y était si intrinsèquement liée. J’avais littéralement peur de disparaître. Beaucoup de mes amies ont rencontré cette problématique, et aussi celle de la structure qu’apporte le travail. Mon amie Laura* m’appelait régulièrement après avoir démissionné pour me demander : « Pardon mais… Tu fais quoi de tes journées ? ». On parlera une autre fois de création, thérapie, voyage, REPOS, formations, bénévolat et tout ce qui peut remplacer le travail quand le passage à la trentaine rime avec burn out.
L’astrologie n’est que l’un des prismes par lequel regarder ce moment. Je ne vous dis pas de démissionner pour aller faire des rituels de pleine lune en haut d’une montagne (quoique). Mais le travail est tellement lié à la notion d’identité qu’on se retrouve forcément un peu face à soi-même quand on le questionne, voire face à une forme de vide si le soi n’a pas été développé au profit du boulot (tel fut mon cas). Saturne la malicieuse vient saper les fondations instables, mais elle fait aussi la lumière sur nos rêves enfouis et notre potentiel non-réalisé.
Deux semaines après sa rupture conventionnelle, l’une des boîtes les plus cool de son milieu a spontanément proposé à Julie son « job de rêve ». Le poste pour lequel elle avait tant travaillé, celui dont elle s’apprêtait à faire le deuil. L’accepter lui aurait demandé de faire de nombreux sacrifices, comme déménager à Paris et accepter d’être sous la coupe de managers réputé.es maxi toxiques. Et là mes ami.es, j’aime autant vous dire que j’ai reçu une série de notes vocales aussi passionnantes que déboussolées. Étant la personne que je suis, j’y ai vu un test de l’Univers (*tousse* Saturne *tousse*). Julie, elle, y a vu un énorme casse-tête. Mais s’il y a bien quelqu’un qui a toujours rêvé d’autre chose que d’un job, c’est elle. Elle a suivi son instinct, et elle a refusé. Et ensuite j’ai reçu « Et au fait… Tu fais quoi de tes journées ? ».
Clémentine Spiler
* Tous les prénoms présents dans ces chroniques sont modifiés.
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