Pourquoi l’amitié femme-homme hétéro est si aWkward ?

 

Petite précision pour les personnes que ça aurait fait tilter : on a fait le choix de préciser femme et homme hétéro parce que des amitiés entre des femmes et des hommes gay, ça existe depuis belle lurette et ça retire de l’équation ce qui nous intéresse ici : la question de l’attirance sexuelle.

 

En faisant nos recherches pour cet article, on s’est rendu compte d’un truc auquel on n’avait pas vraiment pensé : la possibilité de nouer une amitié pour un homme et une femme est en fait très récente. ll n’y a pas si longtemps, les écoles n’étaient pas mixtes et les femmes ne travaillaient pas, alors que l’école et le taff, ben c’est un peu la base pour se faire des potes.
 


Dans les années 60, seulement un tiers des collèges et lycées étaient mixtes. Il faut attendre 1976 pour que l’idée soit généralisée à tous les niveaux d’enseignements, et pas mal d’années supplémentaires pour que les fac l’appliquent vraiment. Les rapports amicaux entre hommes et femmes n’ont pas vraiment eu le temps de devenir naturel, donc.

 

Et pourquoi cette non-mixité aussi ? Et bien parce que l’Eglise (référente de l’éducation pendant des siècles) y voyait une “source de désordre sexuel”. Pas étonnant qu’aujourd’hui encore, on interdise aux filles de s’habiller comme elles veulent sous prétexte qu’elles pourraient “déconcentrer les garçons” (lol pas lol). Dans ce contexte d’hypersexualisation des corps des filles et des rapports filles-garçons, quand même les adultes et leurs règles nous disent que l’amitié femme-homme n’est pas possible, comment l’envisager ? Comment la normaliser ?
 

@feminist
 

Ce problème construit par la société, se répercute évidemment sur nos rapports à l’âge adulte. Les femmes sont objectifiées et rabaissées, considérées comme des choses à ken ou au mieux à marier et non comme des égales des hommes qui peuvent donc devenir des amies. L’autrice Mirion Malle appelle ça la girlfriendzone et l’explique ultra bien dans cette BD.
 


Mais cette awkwardness n’est pas une fatalité. Déjà parce qu’on peut lutter contre l’ordre établi #poinglevé, et aussi parce que la psychologie a de bonnes nouvelles pour nous.

 

 

Pourquoi c’est possible, en vrai, l’amitié hétérogenre ?

 

Parce que nos frères et sœurs ou nos cousin·e·s déjà. L’amitié se rapproche d’un amour fraternel et sororal, d’un amour familial #famillechoisie, et ces relations ne laissent pas la moindre place au désir sexuel. Il est donc possible d’avoir des relations humaines (et agréables) avec des êtres d’un autre genre que le sien et hétérosexuels, miracle ! Sachant ça, pourquoi ne pas répéter l’expérience avec des inconnu·e·s qui deviendront vite nos BFF ?

 

Surtout qu’il y a un trick pour faire la diff entre amour et amitié (poke Céline) : les deux ne nous apportent pas la même chose. Dans un article pour Psychologies, la psychanalyste Sophie Cadalen explique que “le désir sexuel naît de la différence, tandis que l’amitié se nourrit de similitudes”. En gros, nos lovers nous apportent un nouvel horizon et excitent notre curiosité, et nos buddies nous comprennent sans qu’on ait besoin de parler.
 


Petite précision dans cette affaire : pour être happily ever after en couple, c'est quand même cool d'avoir des points commun et des valeurs affinitaires au-delà de la différence. Quand on parle de ressemblances entre ami·e·s, c'est surtout au niveau de nos réponses émotionnelles, de notre façon d'aborder le monde. En couple, on peut par exemple kiffer à deux (ou plus) la science-fiction et lutter ensemble contre le racisme, mais ne pas réagir de la même façon face à une situation stressante (l'un·e va être angoissé·e, l'autre rassurant·e et déjà en recherche d'une solution) = team work. En amitié, on va plutôt rechercher des réactions en miroir = twins.

Et si avant, la ressemblance dépendait beaucoup du genre (parce que les rôles sociaux - et donc les occupations - étaient très genrés), aujourd’hui c’est beaucoup moins le cas. En tant que femme, on peut parfois se retrouver davantage dans la personnalité d’un mec que dans celle d’une autre femme. Pareil pour les excitantes différences d’ailleurs, qui ne dépendent pas non plus du genre, sinon ça reviendrait à nier toute la beauté de l’amour queer, en fait.

 

Maintenant qu’on sait que c’est possible, comment mettre ça en pratique ?

 

 

Comment construire une amitié HF sans malaise ?

 

Jeanne a rencontré son meilleur pote grâce à une connaissance féminine : “Quand je suis partie en Erasmus il y a deux ans, j'ai rencontré une fille qui m'a présenté son copain qui venait souvent lui rendre visite, en discutant avec lui on a découvert qu'on habitait à côté en France, donc en rentrant d'Erasmus il m'a présenté sa bande de potes (majoritairement des garçons) et on a commencé à beaucoup se voir tous ensemble. Entre temps ils se sont séparés pendant bien 6 mois, et c’est pendant ces 6 mois qu’on a tissé le plus gros de notre amitié”.
 


Le coup du mec déjà en couple, on ne va pas se mentir, c’est bien pratique. Mais comme on le lit dans l’histoire de Jeanne, ce n’est pas forcément nécessaire. Parfois être présente pour quelqu’un dans une période difficile peut créer des liens d’amitié très forts.

 

De son côté, Clémentine a connu des moments de malaise avec deux amis : “Au lycée j’avais beaucoup de potes mecs, et parmis eux, deux m’ont avoué qu’ils “voulaient plus”. C’était pas partagé alors on en a discuté. Le malaise ne s’est pas dissipé avec un, on s’est donc perdu·e·s de vue, mais pour Gabriel, après quelques mois de flottement notre amitié s’est renforcée, et aujourd’hui on est meilleur·e·s potes”.

 

Du haut de ses 8 ans d'amitié avec sa meilleure pote, Charles est de bon conseil : "Il faut que ce soit clair directement, c’est important qu’aucun des deux n’envisage plus de la relation. Si dès le début c’est ok que vous êtes ami·e·s, c’est le feu et c’est important car tu te nourris de l’avis du genre opposé dans plein de choses. J’ai un BFF mec et une BFF fille et je parle de la même chose avec les deux mais les discussions se complètent et j’adore".
 


L’amitié repose en effet sur une relation de confiance. Et si on n'a pas eu le temps d'établir clairement les limites de la relation dès le départ et que l’une des deux personnes ressent une attirance amoureuse pour son ami·e, il vaut donc mieux en parler, soit pour transformer la relation si les deux en ont envie, soit pour passer au-dessus. Parfois ça peut prendre du temps, mais aussi valoir le coup.

C’est aussi l’histoire de Loïc : “Notre amitié a débuté au collège, en 5ème. Ca fait donc 15 ans qu’on est ami·e·s, peut-être à minorer d'une période "blanche" de 5 ans… Je me suis beaucoup attaché à elle dès le début sans que la (fameuse) frontière amour/amitié ne soit clairement délimitée dans mon esprit. Pour elle, c'était très clair. La relation s'est donc rompue pendant 5 ans, jusqu'à ce que le hasard (pur) nous rassemble. Aujourd'hui, notre amitié est sans ambiguïté et à mon sens bien plus forte et robuste qu'avant. C’est la plus ancienne, la plus franche, la plus importante à mes yeux. J'aime bien présenter Laura en disant : probablement la personne qui me connaît le mieux. En fait, c’est certain”.