Arriver à un concert d’Harry Styles sans se sentir particulièrement proche de sa musique, c’est mettre les pieds dans un univers parallèle où toutes les conventions sont sens dessus dessous. Hors-de-question de débarquer en fosse en jean et t-shirt. Ici, l’accessoire indispensable, c’est le boa à plumes. Là, en bas des gradins, trois filles se prosternent en attendant l’arrivée de leur chanteur préféré. À côté, une autre montre à son père la position qu’il devra tenir durant tout le concert : les bras bien levés, pour que son téléphone n’en loupe pas une miette. Plus loin, un groupe se rafraîchit en agitant un éventail de feuilles A4 sur lesquelles sont écrites les paroles de la setlist du soir. Bientôt, d’autres jeunes posteront sur TikTok un selfie vidéo de leurs réactions lorsque la superstar fera enfin son entrée.

 

Harry Styles ne fait pas figure d’exception. Aux concerts de Taylor Swift, des fans portent des couches pour adulte afin d’être sûr·es de ne pas manquer un seul instant du concert. Sur Twitter, certain·es font des blagues de mauvais goût et prétendent que Lana Del Rey est impliquée dans une affaire de meurtre afin d’éviter que les places de son prochain concert à l’Olympia ne soient immédiatement prises d’assaut. Ces phénomènes ne se limitent pas aux stars américaines : lors de la dernière tournée de Mylène Farmer, des fans ont campé pendant plus d’une semaine devant les stades afin de s’assurer de bénéficier des meilleures places en fosse.

 

Fermer le temps d’une soirée la boîte à angoisses

 

Avez-vous déjà eu honte d’admettre que vous étiez fan d’une personnalité, d’un groupe ou d’une série ? Pas de panique, on est là pour vous décomplexer. Souvent qualifiés d’« obsessionnels » ou « aliénés », les comportements des fans ont en réalité bien plus de profondeur que ce que l’on veut bien y voir. La chercheuse Mélanie Bourdaa, spécialisée sur la culture fan, considère ainsi qu’un·e fan «++ n’est pas seulement un “suiveur”, un collectionneur ou un enthousiaste, il est aussi un producteur de contenus et de signification++ ». En somme, être fan, c’est faire partie d’une véritable entreprise culturelle qui a pour but d’ouvrir la réflexion autour d’un phénomène médiatique. C’est également faire partie d’une communauté qui possède une organisation propre, garder vivante une œuvre culturelle, devenir expert·e de son sujet, défendre des engagements. Ça a déjà plus de gueule, non ?

 

Au-delà de ces considérations universitaires, on a cherché plein de raisons rationnelles à l’engouement particulier qui entoure les concerts d’Harry Styles ou Taylor Swift aujourd’hui. Des places limitées ou aux prix exhorbitants, de rares tournées françaises, des auras d’icônes de la pop… Le seul qui nous semble vraiment faire sens, c’est encore que ces concerts sont des échappatoires. On ne va pas vous refaire le speech sur le fameux monde tourmenté-post-Covid-pré-guerre-nucléaire-caniculaire-police-partout-justice-nulle-part un poil angoissant dans lequel nous vivons, mais enfin, quand même. Comprenez que parfois, le seul truc qui nous maintient un peu en vie, c’est encore la perspective de danser jusqu’au bout de la nuit dans une safe place remplie de paillettes bien en face de nos maxi starlettes. Ne vous en moquez pas trop, on le sait bien, que tout ça, c’est pas la vraie vie.

 

Marine Slavitch