La stérilisation féminine, c’est un sujet qui te touche personnellement ?

 

Personnellement, cette contraception m’intéressait. Et puis j’ai rencontré des femmes qui racontaient leurs difficultés d'accès à la stérilisation, alors je me suis dit que ça allait être compliqué. Mais pourquoi, au juste ? J'ai trouvé très peu de ressources sur Internet. Il y avait seulement des témoignages, et les seuls bouquins qui existaient, c'étaient des trucs de sociologie hyper abrupts. Il n’y avait rien dans les programmes de médecine non plus. Alors je me suis dit que j’allais écrire là-dessus parce que j'aurais bien aimé, moi, tomber sur un bouquin comme ça.

 

 

Dans ton livre, tu parles du retour au féminin sacré qui opère dans certaines sphères féministes et qui t’inquiète un peu.

 

Au premier abord, c'est hyper attirant, c'est la femme en connexion avec la nature, comme un “retour aux sources”. Sauf que quand tu creuses un peu, c'est une injonction à « être une femme », c'est forcément avoir un vagin et un utérus d'une part, et obéir aux “lois de la nature” d’autre part, à faire des enfants et ne pas prendre d'hormones, alors que certaines femmes peuvent faire le choix d'une contraception hormonale. Une sorte de retour en arrière très patriarcal, réducteur et culpabilisateur.

 

 

Tu dénonces aussi les stérilisations forcées.

 

C'était important d’en parler parce que ça explique aussi pourquoi le mot « stérilisation » a une connotation négative : on pense à une mutilation. La stérilisation a longtemps été réalisée de manière forcée sur des femmes. C'est assez intéressant, ce parallèle entre la stérilisation forcée et la stérilisation voulue. D'un côté, on force la stérilisation, de l'autre, on la refuse totalement. Dans les deux cas, on exerce un contrôle sur le corps des femmes. Je parle aussi des stérilisations des personnes transgenres, qui étaient obligatoires jusqu'à 2016 pour pouvoir changer d’état civil. On refuse un corps qui dérange, on l'a bien vu avec l’affiche du Planning familial qui représentait un homme trans enceint. Ça a généré des appels à la violence et au meurtre.

 

 

Depuis quelques années, le monde a découvert un truc de fou : la vasectomie. Et les mecs qui optent pour cette contraception sont portés aux nues.

 

C'est assez amusant parce qu'on a des BD, des bouquins, des podcasts sur ces héros qui se font vasectomiser. On peut le voir comme une bonne nouvelle sous plusieurs aspects. Le premier, c'est qu’enfin, on a compris que la vasectomie n'affectait pas la virilité. Pendant longtemps, elle était synonyme de castration. Le second, c'est que les hommes prennent un peu de notre charge contraceptive. Après, c’est à double tranchant : une grossesse non désirée, ça reste dans le corps de la femme. Je pense que la vasectomie n’est pas la solution à tout, car la femme a le droit de faire ce choix pour son propre corps.

 

 

Ce qui gêne la société, c'est l'atteinte à la « fonction primaire » de la femme.

 

Exactement. Depuis des siècles, la femme est destinée à faire des enfants. Porter atteinte à cette fonction est vu comme une hérésie. Et puis, il y a toujours ce truc très culpabilisant de dire : « Pense à celles qui n’arrivent pas à avoir des enfants ». Les ventres des femmes ne sont pas des vases communicants !

 

 

Récemment, Konbini a partagé une interview d’une femme qui a décidé de se faire stériliser. On a rarement vu un tel torrent de haine en réaction. Comment tu expliques ça ?

 

Les femmes restent aux yeux de beaucoup d'hommes des petites choses fragiles, des personnes immatures qui ne savent pas ce qu'elles veulent. Par ailleurs, la stérilisation peut réveiller une espèce de panique, car en s'affranchissent de l’injonction à la maternité, la femme se rapproche du statut de l'homme. Il y a aussi toute une frange d’extrême droite totalement opposée à la maîtrise de la fécondité, qui prône une doctrine nataliste.

 

 

Justement, la tradition nataliste de la France, parlons-en.

 

C'est une particularité qui s'explique par le fait que nous avons connu une transition démographique très précoce. Les guerres ont décimé pas mal de monde en France, l’État a donc mis en place des politiques pour appeler à “regonfler” les rangs. Et ça, c'est resté ancré, avec des lois pro-natalité, des allocations, des aides à la famille, etc. Encore aujourd'hui, on est très, très marqués par ça : la France se targue d'être la championne de la natalité en Europe.

 

 

Comment expliques-tu que certaines des réactions les plus virulentes proviennent des gynécologues et obstétriciens ?

 

Il s’agit de mettre fin à une fonction reproductive. Eux, ils ont été formés à faire en sorte que cette fonction soit assurée. Là, on leur demande pile le contraire et je pense que ça leur fait un nœud au cerveau. Après, il ne faut pas faire de généralités : il y a des médecins à l'écoute, des gynécos qui pratiquent la stérilisation sans souci et des sages-femmes qui sont de très bon conseil.

 

Cela étant dit, parmi les premiers obstacles, il y a les médecins et les gynécos, parce que ce sont les premiers interlocuteurs vers qui les femmes se tournent pour enclencher la démarche. Quand on se rend chez un gynéco et qu’on te dit : « Vous avez différentes méthodes de contraception, vous pouvez prendre la pilule, vous pouvez vous faire poser un DIU, etc », jamais, quand tu es une femme jeune, on ne t’indique qu’il existe la stérilisation. Et on prive la patiente d'une potentielle solution.


Maud Le Rest