Shadowquoi ?

 

Jouissance Club, Marie Bon Gars, Clit Révolution… ces comptes engagés dédiés à l’éducation sexuelle et à l’égalité des genres ont explosé sur Instagram ces dernières années. La hype est totale et les abonné·es se comptent par centaines de milliers. Mais en 2019, ça pète : des comptes sont supprimés sans explication par la plateforme, comme le raconte Elvire Duvelle-Charles (créatrice de @clitrevolution) dans son nouveau livre. D’autres voient leurs posts supprimés, perdent accès à l’appli pour une durée indéfinie…
 

📸 @clitrevolution

 

 

Ça continue fort aujourd’hui. Clarence Edgard-Rosa, journaliste spécialiste des questions féministes, le voit via le compte de Gaze, la revue indépendante célébrant les regards féminins qu'elle a fondée : « On a différents mécanismes de censure, parfois Instagram nous signale qu’il y a un problème et parfois on s’en rend compte nous-même. On a des fonctions qui sautent, comme la possibilité de mettre les liens en story par exemple ou de faire des lives. Et actuellement, nous n’avons plus la possibilité de sponsoriser nos contenus et donc de les faire découvrir aux utilisateurs. »

 

Le mécanisme le plus fourbe est ce que les activistes appellent le shadow ban : comme expliqué dans Féminismes et réseaux sociaux, Instagram planque les contenus de comptes qu’il veut censurer "discrètement" en les faisant tout simplement baisser dans son algorithme. Du coup, les abonné·es du compte le voient moins . « Aujourd’hui, il n’est pas rare que les stories publiées depuis mon compte personnel atteignent dix fois plus de vues que celles du compte de Clit Revolution (qui compte pourtant dix fois plus d’abonné·es) », écrit Elvire.

 

 

Un stress économique et mental

 

Cette censure est une vrai galère pour les activistes et les jeunes médias engagés, dont le développement dépend beaucoup des réseaux de Meta #vive2022.
 

📸 @gaze.magazine

 

 

Autre phénomène très fun qui vient s’ajouter : les raids, aka quand plusieurs comptes (souvent fachos ou mascus) se coordonnent pour signaler et envoyer des messages de haine à un compte dans le but de le virer d’un réseau. Ces attaques épuisantes - « On se fait constamment signaler par des comptes masculinistes » - et leurs conséquences, sont dures à démêler de la censure des applis vu l’opacité des méthodes utilisées.

 

La cerise sur ce gâteau indigeste ? Clarence lance l’alerte sur le fait qu’Instagram veut fliquer tout le web. « On a appris qu’on était censurées car ce n’étaient pas nos contenus Instagram qui posaient problème, mais ce qui était sur notre site web, qui est notre propriété. Meta se permet de dicter ce qui est acceptable ou pas en dehors de sa plateforme et c’est très grave, mais très peu de gens sont au courant ». Oui, vous pouvez paniquer.

 

 

Meta face à la justice

 

Face à cette catastrophe, les féministes françaises ne se laissent pas faire et début 2021, quatorze comptes engagés (dont Gaze et Clit Révolution, mais aussi Mécréantes, Jouissance Club, Préparez Vous Pour la Bagarre, Olympe Rêve…) assignent Meta en justice. Goal : obtenir plus de transparence, connaître les consignes des modérateur·ices et de l’algorithme, et faire admettre l'existence du shadow ban démontré par les activistes mais nié par Meta. Parce que des paramètres conçus par des humains ne peuvent pas être neutres, « Les règles rendues publiques par Instagram ne suffisent pas du tout : si tu montres une même image à dix personnes différentes, elles n’auront pas la même évaluation de sa nudité par exemple », pointe Clarence.
 

📸 @gaze.magazine

 

 

Elvire Duvelle-Charles explique aussi que les publications qui sautent le plus sur Insta sont postées par des personnes racisées, grosses ou LBGTQIA+. Coïncidence ou biais politique qui ne s’assume pas ? C’est l’enjeu de toute cette histoire : arrêter de prétendre que les GAFAM détiennent une objectivité providentielle qui n’influencerait personne, comme l’explique Clarence : « Instagram n’est pas une plateforme neutre. Elle façonne comment on voit les corps, les images, les rapports de genre… ça crée une vision politique ».

 

 

Back in time : le retour du feed chronologique

 

Il y a fort fort longtemps, Insta présentait les posts de manière chronologique, puis a lancé son algorithme en 2016. Mais surprise ! Une mise à jour vient d’être annoncée : les utilisateur·ices pourront choisir entre un feed géré par l’algo, un feed chronologique à l’ancienne ou un feed avec des comptes qu’iels auront mis en Favori. « C’est une façon de réagir sans vraiment répondre à nos demandes » estime Clarence. « Demander à nos followers de nous mettre en Favori c’est super, mais si on est shadow ban la demande ne leur parvient pas ! ».

 

Et si l’option chronologique peut calmer ça, ça ne change rien aux autres mécanismes de censure de la plateforme. La solution la plus efficace reste l’action collective lancée par les féministes pour forcer Meta à plus de transparence. Une médiation est en cours depuis octobre 2021 : on attend le verdict de la justice française de pied ferme.

Claire Roussel