Happy Hollywood

 

Hollywood est une grande famille. Sur laquelle le monde entier a les yeux rivés, suivant comme une télé-réalité (presque) non-orchestrée, les relations, mariages, divorces, clash et réconciliations en série : en gros, le royaume du voyeurisme. Les affaires de sex-tapes en 278 épisodes en sont d’ailleurs bien la preuve. Ces vidéos laissent dans la vie et la carrière de ces femmes une empreinte indélébile et les réduisent à de simples corps sexuels. Et même sans sextapes, les actrices sont maltraitées. Cette hypersexualisation si intense fait partie des violences permanentes et souvent invisibilisées qui ont donné naissance au mouvement Me Too.

 

Hilton, Oscars, Kardashian : étude de cas.

Le cas Hilton : détourner le problème

 

En 2003, alors qu’elle a tout juste 23 ans, Paris Hilton se fait piéger par son petit-ami de l’époque qui dévoile une vidéo de leur sexualité sur les Internets. L’affaire fait masse de bruit et participe grandement à rendre célèbre la riche héritière qui n’est même pas encore une adulte. Une grosse bataille en justice s’en suit pour effacer une vidéo qui ne le sera jamais. Ce qui construit à Paris une réputation de bimbo hyper-sexe qui la suit encore aujourd’hui. Elle finit tout de même par avoir gain de cause : on lui filera 400 000 dollars de dommages et intérêts, qu’elle reversera à des associations caritatives.

Après quoi ? On peut imaginer que tout le jeu créé autour du personnage de Paris Hilton est aussi une manière de détourner le problème et de se réapproprier son image : elle choisit de faire de son corps, de son esthétique, un des fers de lance de sa célébrité. Quoiqu’il en soit, ce genre d’évènements marque au fer rouge les femmes qui en font les frais. Et on oublie en deux secondes les hommes qui étaient eux aussi concernés.

Le cas Kardashian : transformer l’essai

 

Ce qu’il y a de particulier avec la sex-tape de Kim Kardashian, c’est le retournement de situation qu’elle a occasionné. Les mécaniques de pouvoir se sont inversées. L’histoire est la même que pour toutes les autres divulgations : un ébat intime qui d’un coup d’un seul se retrouve au coeur d’une hyper-médiatisation. Seulement, on ne la fait pas à l’envers à Kim : d’abord dévastée, elle décide 4 ans plus tard de vendre les droits de la vidéo à une des plus grosses industries du porno américain. Sur 10 ans, elle empoche l’équivalent de 50 millions de dollars.

 

Pourquoi c’est smart ? Parce que du même coup, elle démonte toute l’affaire, et reprend le contrôle de la situation en se faisant la cheffe de la monétisation de son corps. Elle prend le problème à contre-sens : puisque la vidéo ne pourra jamais être supprimée, autant qu’elle se fasse des thunes dessus. Et ça, c’est bien joué, et ça évoque un courant du féminisme qu’on appelle le pro-sexe : un mouvement militant pour la réappropriation par les femmes de l’hyper-sexualisation de leurs corps, en encourageant un nouveau type de pornographie, ou des conditions meilleures de travail pour les travailleur-euse-s du sexe. En gros, les faire passer du statut d’objets sexuels à celui de sujets pensants. Et ça, c’est important.

Les corps nus à Hollywood

 

Dans un très bon article de Slate, Michael Atlan rappelle cet épisode qui a marqué la cérémonie des Oscars en 2013, quand Seth MacFarlane s’est octroyé le droit de désigner chacune des comédiennes qui avaient déjà fait du nu dans un film. “On a vu tes nichons Meryl Streep / Scarlett Johannson / Angelina Jolie (...)” chante-t-il OKLM, comme si ça ne posait aucun problème de mélanger démarche artistique dans une fiction et sexualisation dans la vraie vie.

 

Après quoi ? Jennifer Lawrence, comme bien d’autres, a fait les frais du hacking de son téléphone portable et s’est retrouvée exposée nue sur les cellulaires du monde entier. Un épisode traumatisant dont elle choisit elle aussi de faire, 4 ans plus tard, l’objet d’une action artistique vouée à lui faire reprendre le pouvoir. Dans Red Sparrow, alors qu’elle est face à un personnage masculin qui veut la “baiser” par derrière, elle choisit de se déshabiller intégralement et de lui demander de la baiser bien en face. Elle montre qui décide. Elle se déshabille avant d’être déshabillée. Une façon de contrer les mécanismes de domination masculine par la réaffirmation du “mon corps m’appartient”.

Femmes nues - hommes nus

 

Faire du nu, être montré-e nu-e, volontairement ou suite à la divulgation d’images, ça ne représente pas du tout la même chose pour un homme et pour une femme. Suffit de prendre une plage au hasard dans le Sud de la France pour voir qu’une femme et un homme torse nu ne susciteront pas les mêmes réactions. L’une serait regardée, désirée, éventuellement jugée de montrer des parties considérées comme “sexuelles” ou à même d’attiser le désir en public. Pour l’autre, R.A.S. On ne joue pas dans la même cour. Érotiser, sexualiser, s’approprier le corps des femmes est une manière de leur voler leur identité et leurs choix, et c’est pour cette raison qu’on déplore le cas Hilton et qu’on applaudit le retournement Kardashian.

 

Pourquoi c’est problématique ? Parce que quand, par exemple, Michael Fassbender ou Richard Gere se mettent à poil dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions d’acteurs, personne ne vient en faire un sujet de domination ou de jugement. Alors qu’on retrouve pêle-mêle sur des sites porno aux côtés des sextapes qu’on évoquait plus tôt, les nus de femmes les plus célèbres de toute l’histoire du cinéma. Jamais anodin à échelle personnelle ou professionnelle, de décider d’enlever le haut et/ou le bas. Et toujours banal, et quasi-systématique à Hollywood, pour les réalisateurs, de le demander : parce que le sexe, c’est bien connu, ça fait vendre.

Et le revenge porn, IRL ?

 

Grosse actu pour le revenge porn ces dernières années : avec Internet, le harcèlement en ligne a explosé et la divulgation d’images privées, de vidéos prises à l’insu de jeunes femmes a littéralement atteint des sommets. Un sujet traité de manière très pertinente dans le 13 Reasons Why de Selena Gomez sur Netflix. D’Hollywood à la cour de récré, même combat : celui de casser la gueule à des stéréotypes de genre qui pèsent de manière désastreuse sur le rapport que nous entretenons à nos corps, sur nos rapports avec les autres, et dans le cadre de nos sexualités. Time’s up.

Pour aller plus loin :

 

L'excellent article de Slate sur la nudité des actrices et ses enjeux

Un très bon article sur le corps des femmes comme lieu de pouvoir au cinéma

Le documentaire Hollywood : Pas de sexe s'il-vous-plaît qui décrypte la place du sexe dans la société américaine en général et à Hollywood en particulier