Être un·e artiste émergent·e en France
FBI : Fausse Bonne Idée
Le Festival d’Avignon a eu lieu du 5 au 25 juillet derniers. Pendant 20 jours, des milliers de personnes se sont rassemblées dans le Vaucluse pour célébrer le théâtre et les arts vivants. Parallèlement à cette manifestation internationale, il y a aussi le OFF d’Avignon. Une manifestation non-institutionnalisée qui propose aux artistes « émergent·es » de se présenter partout dans la ville. Nous avons discuté avec Esther Abarca, à la tête de la jeune compagnie francilienne MOTIO pour tenter de mieux comprendre la situation de ces artistes.
C’est quoi être un·e artiste émergent·e en France ?
L’émergence est un thème qui fait partie de l’argot institutionnel mais qui délimite beaucoup de créations aujourd’hui. La définition générale de l’émergence qu’on retrouve dans les dispositifs est un critère de sélection. Quand on est une compagnie qui a moins de 5 créations ou productions à son compte, alors on est considéré·e comme émergente. Pour qu'une création soit prise en compte, il faut qu’une structure accompagnatrice soit reconnue comme productrice. Il peut s’agir, par exemple, d’un festival ou d’un théâtre mais la définition reste très floue.
Pour trouver une structure accompagnatrice qui puisse parrainer un projet précis, il faut déjà réussir à reconnaître ces structures, les contacter et créer un lien de confiance avec elles. Il faut avoir accès à ces personnes, à ces moyens et à ces lieux qui ne sont pas accessibles à toustes. Vous voyez où on veut en venir ?
L’émergence est vue comme un passage, une situation, dans une carrière professionnelle où personne ne veut rester, c’est à partir de subventions régulières qu’on sort de ce système. Certaines personnes ou compagnies restent malgré-elles émergentes toute leur vie. Quand on parle d’émergence, on sous-entend la transition d’un espace à un autre et généralement, une amélioration. Ce terme prouve, sans le vouloir, que les artistes qui créent et luttent pour « émerger » ne sont pas reconnu·es par le reste de la profession jusqu’à atteindre un certain sas.
Ce statut donne des opportunités qui seraient autrement difficiles d’accès mais il donne aussi l’impression d’être devenu une machine de sélection des « bons » artistes et des « presque ».
Une machine à trier
Pour notre metteuse en scène, c’est un mot qui sonne plutôt contradictoire. « On n’est pas en train de sortir la tête de l’eau, au contraire, on vient de tomber dedans et on lutte pour ne pas se noyer. On dirait qu’il faut attendre que quelqu’un·e vienne nous chercher ».
C’est souvent les tremplins des grosses structures (des théâtres, des festivals, en gros là où il y a un peu de thunes) qui vont tenter de tirer les compagnies hors de l’émergence en passant par un critère de sélection par le biais d’un parrain ou de critères minimum. Mais comment faire quand on n’arrive même pas à rentrer dans les sélections ? Ce sont les « bonnes compagnies » qui sont choisies car elles ont un réseau, des fonds personnels pour s’aider à se développer et donc les codes pour leur donner une longueur d’avance. On se permet alors de laisser les autres sur le bas-côté.
C’est aussi un milieu qui est ultra codifié, alors que certain·e·s sont défini·es comme émergent·es, d’autres sont très peu considéré·es par la profession car iels arrivent à peine à trouver des moyens de production. Pire encore, une fois qu’on considère que vous avez réussi car vous êtes un·e émergent·e, vous allez continuer à galérer parce que cette position ne vous assure pas du tout de nouvelles subventions ou d’autres formes d’aides, de facto.
Selon la co-directrice de MOTIO, c’est comme si les institutions souhaitaient être remerciées de bien vouloir prêter des salles ou de donner des temps de répétition alors que les artistes, créateur·ices sont bloqué·es dans un piège infernal où iels doivent trouver un travail alimentaire pour pouvoir manger et ne trouvent pas le temps où les lieux pour développer leurs productions.
Elle insiste sur la chance qu’elle a eu. Quand elle a dû monter sa structure artistique, elle est tombée dans le grand bain complexe de l’administration française et s’en est plus ou moins bien sortie. Grâce à ses études en sciences sociales notamment mais aussi parce qu’elle parle très bien français et est à l’aise avec les différents codes bureaucratiques. D’autres personnes, à sa place, auraient pu voir ces barrières à l’entrée comme trop difficiles.
Le système de développement, production et diffusion des artistes émergent·es semble ressembler de plus en plus à un laboratoire de reproduction d’une élite culturelle (surprise surprise !), d’une certaine forme de théâtre vivant. Si pour être pris·e au sérieux il faut être parrainé·e, comment fait-on pour gagner la confiance d’un·e professionnel·le ? Comment se montrer sans argent pour la location de salles ni compétences en community management ?
Penser à une autre forme de production
Il existe des dispositifs qui tentent de se développer parallèlement au théâtre institutionnel et ses outils. Des associations ou des collectifs issus de l’émergence qui ne proposent pas d’argent mais, en revanche, offrent un accompagnement ou échange de compétences. Il y a, par exemple, Urgence Émergence. Ce collectif a été créé par des artistes en situation de précarité, qui n’étaient pas forcément intermittent·es du spectacle et qui se sont retrouvé·es sans rien pendant le COVID. Iels ont donc commencé à proposer des cercles de parole ou du compagnonnage.
Il y a aussi En Rappel. Une association créée par 4 administratrices qui se sont unies bénévolement pour proposer des cours express à destination des acteur·ices culturel·les. Elles enseignent des tips qu’on n’apprend pas forcément en école d’art mais qui sont nécessaires à toute production d’art vivant (droit, réseaux sociaux, management, comptabilité, etc.). Les personnes formées professionnellement ne veulent que rarement faire du pro bono pour des petites compagnies sans budget et on les comprend.
D’autres lieux commencent également à accueillir des compagnies dites émergentes ou pré-émergentes car beaucoup moins fermés ou difficiles d’accès. Des tiers-lieux ou des squats fonctionnent de manière beaucoup plus organiques dans la création artistique mais peuvent demander des changements de vie ou d’objectifs. Pour Esther, quand on est dans une course contre la montre pour devenir émergent·e, ça vaut rarement le coup de passer du temps à créer un univers parallèle et des réseaux parallèles. C’est un privilège quand, pour la majorité des artistes émergent·es, ce qu’on souhaite, c’est survivre.
Vous l’aurez compris, si vous voulez lancer votre compagnie, vous développer, voire pire, percer ça risque de pas être de tout repos. Mais pas de souci, comptez les un·es sur les autres, ayez confiance en vous et essayez de rencontrer d’autres artistes du milieu. Et puis si vous n’êtes pas un drama kid dans l’âme, on vous conseille de soutenir des petites compagnies qui vont bientôt devenir grandes et de vous intéresser au spectacle vivant local près de chez vous qui a vraiment besoin de vous.
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Le collectif Bolides et leurs différents spectacles
Le collectif des Pièces Détachées
La compagnie Chaos Solaire
La compagnie Bang