La définition simple de l’incompétence stratégique c’est : faire semblant d’être incapable d’accomplir une tâche pour éviter de la faire. Pas maligne, mais pas bête, héhé. Si vous cramez tout ce que vous faites cuire ou que vous faites rétrécir toutes les fringues à chaque fois que vous lancez une machine, on ne vous laissera plus toucher aux poêles ou à la lessive. Pratique. Enfin pour vous… Parce que l’incompétence stratégique est une technique potentiellement assez égoïste. En se rendant incompétent ou incompétente, on sait très bien que la tâche va retomber sur quelqu’un d’autre. Ça peut créer une surcharge mentale (et donc un mal-être) chez cette personne, voire la stigmatiser : elle est relou, maniaque, jamais contente, toujours sur le dos des autres… Mais ça peut aussi vous coûter.

Ça peut cacher un syndrome de l’imposture

 

Quand vous êtes seule vous déplacez tous les meubles de votre appart en 20 minutes pour “changer un peu d’aménagement”, mais quand vous êtes avec votre mec vous lui demandez d’ouvrir le pot de cornichons ? Vous faites des tableurs Excel entiers pour planifier le budget de vos vacances mais vous demandez à votre collègue de diviser la note au resto ? Vous vous lancez dans des projets DIY dignes d’une ouvrière en bâtiment mais vous demandez à votre pote de fixer votre tringle à rideaux ? Vous avez le permis depuis 10 piges mais vous sortez encore de la voiture pour laisser votre père faire le créneau ? Mh. On vous voit.

 

Il y a une différence entre la flemme qu’on fait passer pour une incapacité #stratégie, et la dévalorisation qui nous fait croire à notre incapacité. Ownez vos compétences.

 

 

Ça alimente le sexisme

 

Tik Tok comptabilise 27 millions de vues sous le #weaponizedincompetence, et la plupart des vidéos racontent les déboires de femmes face à leurs maris qui ont complètement lâché l’affaire niveau tâches ménagères. Dans cette vidéo par exemple, une femme établit carrément une liste de courses avec les photos des produits et un plan du supermarché. On pourrait croire que c’est son petit moment crafting ou qu’elle abuse, sauf que si elle fait ça c’est sûrement parce qu’il a déjà dû ramener du shampooing à la place du liquide vaisselle, ou pour éviter qu’il dise « T’es sûre que tu peux pas y aller ? Je sais pas ce que tu veux exactement et où chercher dans les rayons ».

L’incompétence stratégique est en effet souvent une affaire d’homme. Le sexisme systémique faisant peser sur les femmes la gestion des tâches ménagères et du “care” (se souvenir des anniversaires, prendre les rdv médicaux, acheter les cadeaux de Noël...), les hommes ne seront pas jugés sur leur incapacité à accomplir des tâches catégorisées comme “féminines”. La voie est donc large open pour instrumentaliser cette incompétence. En revanche, les femmes qui se plaignent du manque d’implication de leur partenaire n’échappent pas au : « Elle pourrait le faire au lieu de râler, ça ferait gagner du temps à tout le monde », ou au stress d’être critiquées pour la tenue de leur intérieur.

 

Si vous subissez l’incompétence stratégique d’un collègue, partenaire, coloc, on n’est pas contre la moquerie inoffensive : « Je suis sûre que tu peux réussir à te faire couler un café tout seul Jean-Michel, c’est un peu plus compliqué que ce que tu fais habituellement c’est sûr, mais fais-toi confiance, ça va aller ». « Oh bah alors mon chéri, le liquide vaisselle ne veut pas se verser sur l’éponge ? Ne te laisse pas faire, montre-lui qui est le plus fort ! ».

Ça peut stigmatiser des personnes neuroatypiques

 

En réaction aux nombreuses vidéos Tik Tok, des personnes interpellent sur le fait que des incompétent·es stratégiques dénoncé·es peuvent être en réalité des personnes en difficulté. Ce n’est pas parce qu’on joue toute la journée aux jeux vidéos qu’on a “du temps” ou “la capacité” de ranger sa chambre ou de faire la vaisselle, il peut être question d’angoisses chroniques, de dépression, de TDAH (troubles de l’attention avec hyperactivité).

 

La thérapeute Lesley Woods Cook conseille par exemple de demander à la personne ce qui l’empêche réellement d’accomplir des tâches considérées comme accessibles. Si c’est une question de flemme, vous êtes fixée, mais si c’est une question d’angoisse, de blocage ou de réelles incapacités, on parle peut-être de neuroatypie non diagnostiquée.