Pourquoi on a toustes envie de « s’habiller mal » ?
Ugly girl summer
Vous sentez aussi qu’il y a une vibe étrange dans l’air ? Une envie irrésistible d’acheter cette paire de crocs compensées, une passion soudaine pour les lunettes mouches ou tout simplement l’urgence de ressortir vos vieux pantacourts du fond des placards de votre chambre d’ado. Tout va bien, vous n’êtes pas en pleine hallucination, vous êtes simplement en train de vous faire contaminer par une nouvelle trend : le moche.
Y2K is dead, long live Ketamin Chic
Avant toute chose, nous ne sommes ni Anna Wintour ni la Fashion Police. Nous ne nous permettons pas de juger tel vêtement ou ensemble. Ici le terme de « moche » est à contextualiser. Dans une société très léchée, aux apparences surtravaillées, il fait référence au décalage entre ces pièces et le monde dans lesquelles elles évoluent. Le beau comme le laid sont éphémères et nous admettons nous-mêmes être un peu trop fan de ces schloppes en ce moment, donc keep cool. Nous sommes dans un safe-space.
Cette mode du moche prépare son installation depuis quelques années. Sa reine, l'iconique Miuccia Prada, avait déjà fait sensation dans les années 90 avec ses défilés déroutants, proposant des silhouettes et des pièces cacophoniques en décalage avec sa génération beaucoup plus élégante, homogène.
© Prada - 1993
Depuis, le moche s’est petit à petit diffusé dans le prêt-à-porter jusqu’à ce qu’on finisse presque par l’oublier. Y’a 10 ans, on s’était juré ne jamais acheter de Birk (euh, allô des chaussures orthopédiques ? PTDR), de ne pas porter de Crocs (des chaussons d’hôpital, en fait) ou de ne pas remettre de pantalon parachute (on se sent littéralement comme un sac).
Et pourtant, comme toutes les trends par définition, elle nous concerne toustes qu’on le veuille ou non. Selon ce super article de DAZED, ces dernières années, cette trend est passée d’un mouvement hésitant à une trend beaucoup plus installée avec ses égéries et ses propres it-people.
@water_melon_blania
Elle est appelée Ketamin Chic en opposition à l’Heroin Chic des années 90 et qui refait une apparition critiquée. Kétamine pour la référence à ses consommateur·ices qui dans l’imaginaire seraient plus marginalisé·es, plus uniques et en totale déconnexion du monde. Ce qui est assez ironique sachant que cette trend et les micro-trends qui en découlent viennent évidemment du centre du monde : les Internets et une sur-connexion justement. Ce style est tout aussi saturé que nous le sommes d’information et il y a un petit côté cynique à accepter ce fait.
Pire encore, après Prada dans les années 90 et cette volonté de déconstruction de la mode, cette tendance a également été appropriée par les marques de luxe les plus « in ». On l’a notamment vu ces dernières années chez Prada, Acne ou même des nouvelles-nées ambitieuses comme 25FNYC.
@25FNYC
Socio-fashion
Mais qu’est-ce qui motive ce virage vers une esthétique, qui de manière générale, est considérée comme laide ? On peut trouver plusieurs raisons derrière tout ça et nous vous conseillons la vidéo de la géniale Amélie de Fashion Quiche qui les énumère et y apporte une dimension sociologique.
En faisant référence à Bourdieu (oui, oui c’est du sérieux on a dit), elle explique que finalement s’habiller de manière moche, ce n’est pas un hasard. Si Bella Hadid a pris ce tournant ce n’est pas qu’elle a perdu la tête mais bien que, une fois encore, elle montre la voie en tant que it girl bien installée.
@bellahadid
S’habiller en « moche » c’est faire le choix délibéré de prendre des pièces qu’on sait assez discordantes et les mettre ensemble volontairement. C’est faire exprès d’avoir l’air de rien. Et donc, comme tout code d’un groupe social particulier, il n’y a que les vrai·es qui savent et qui peuvent donc se reconnaître entre elleux. De l’extérieur, on se dit que ça n’a aucun sens, mais c’est simplement qu’on est pas assez trendy. On peut même ressentir un certain plaisir à arborer un look qui va questionner et qui va faire que si il est déprécié par certaines personnes, c’est que ces personnes sont dans l’ignorance.
Ensuite, il faut aussi pointer le fait que les influenceur·euses qui ont popularisé cette trend et qui l’ont propagée sur les réseaux sont elleux-mêmes des archétypes d’une population privilégiée. Généralement blanc·hes, minces et riches (oui, car s’habiller moche ne veut pas dire qu’on s’habille chez Primark, faut pas déconner), iels ont aussi un certain statut dans la société qui leur permet de s’habiller comme bon leur semble sans subir de discriminations ou d’autres inconvénients dans les milieux où iels évoluent. Comme le rappelle un commentaire sous la vidéo de Fashion Quiche, les populations réellement marginalisées sont encore et toujours une inspiration pour la mode. Si le jogging peut maintenant se porter avec des talons, il reste un marqueur social quand il est porté par des hommes racisés. Si le mulet est revenu à la mode, il était souvent considéré comme un atout « beauf » avant d’être réapproprié par la communauté queer puis par les mannequins sur les plus grands défilés.
@maoui2saintdenis
En tout cas, nous on souhaitait vous rappeler que même si vous êtes fagoté·es comme l’as de pique (volontairement ou non d’ailleurs), l’important c’est que vous vous sentiez bien dans vos baskets. Alors si vous voulez craquer pour cette paire de crocs, faites-le. Et la prochaine fois qu’on vous fera un commentaire à côté de la plaque vous pourrez levez vos yeux au ciel violemment. Mais n’oubliez pas, kiffez juste la vibe.