Les marques de tricot sont assez rares. Comment as-tu eu cette idée ?

 

Ça fait une douzaine d'années que je travaille dans la mode en tant que styliste, plutôt dans la fast fashion. J’ai toujours eu des projets artisanaux à côté. Pendant le confinement j’ai compris que je n’aimais vraiment pas le fonctionnement de la fast fashion : ça n’était pas ma vision de la mode et de la valeur d’un vêtement. Donc j’ai quitté ce monde. Je revenais d’Argentine et j’avais besoin d’un nouveau souffle, et j’ai trouvé par hasard la machine à tricoter de ma grand-mère chez mes parents. Quand je l’ai découverte, j’ai trouvé ça incroyable ! J’ai commencé à la remettre en état, m’intéresser au tricot à la machine…

Actuellement je travaille sur une machine achetée à une grand-mère qui ne s’en servait plus. Pour moi le tricot c’était quelque chose de l'ordre du passé, d’un temps qu’on n’a plus, c’est tellement lent… Je trouve que c’est tellement en inadéquation avec la société capitaliste dans laquelle on vit ! Donc ça m’a intéressée parce que je me suis dit waou, cette machine est un peu au carrefour de l'artisanat et de l’industrialisation. Ça fonctionne sans électricité, mais c’est énorme et il y a plein de boutons. C’est comme ça que ça a commencé !

 

 

Ton esthétique clashe complètement avec la vision qu'ont les gens du tricot. Quelles sont leurs réactions ?

 

Ils ne s’attendent pas du tout à ça ! Je m’en amuse : je vois la tête des gens quand je leur dis que je fais du tricot. Ils projettent quelque chose, puis je leur montre mes produits et ma machine et ils sont vraiment étonnés. Il s’attendent à un pull beige qui gratte, et à moi avec mes aiguilles sur mon canapé, alors que la machine est énorme, elle fait 30 kilos. Et j’utilise des couleurs vives, des coupes près du corps…

On associe beaucoup le tricot à l’hiver mais je suis plus sur des tops, des robes tubes, le tricot comme une seconde peau. C’est aussi un parti pris en termes de vente parce que ça reste une technique très chronophage et manuelle. Entre un petit top et un gros pull c’est pas le même temps de travail, donc pas le même prix.

 

 

Comment nourris-tu ce style très spécifique ?

 

J’utilise des symboliques kitsch, parce qu’on est influencé·es par les tendances et le monde actuel (ce qui n’est pas forcément mal), mais je veux me concentrer sur des motifs qui durent dans le temps. Ça veut dire que je vais utiliser des choses déjà dans l’imaginaire collectif et qui touchent un très grand nombre. Comme des couleurs vives, des coeurs, des flammes, des dauphins… Ces symboles sont communs à plein d’autres pratiques comme le tatouage.

J’adore aussi le graphisme, l’illustration… Quand je cherche mes inspirations, je ne vais pas vraiment dans la mode. Il y a plein de croisements à faire. Tout le monde n’accroche pas à cette esthétique mais c’est quelque chose qui est définissable, pas une micro trend qui va passer dans deux mois. Donc si tu achètes un produit chez moi, en théorie tu le gardes tout le temps.

 

 

Ton projet porte aussi des valeurs éco-responsables…

 

J’avais vraiment envie de pousser le concept jusqu’au bout : il faut faire avec l’existant. Déjà parce que c’est une préoccupation actuelle, c’est impossible de passer à côté quand tu fais de la mode et encore plus de l’artisanat. Pour moi ça n’aurait pas eu de sens d’acheter du neuf, même s'il y a quelques filières éco-responsables. J’aime ce côté récupération, qui amène aussi à de belles rencontres.

Je me fournis auprès d’associations, des grands-mères de mes copines, il y a toujours une histoire à écouter qui m'inspire dans mon travail. La laine, il y en a de partout, et je tombe souvent sur le deadstock des filatures françaises du Nord de la France des années 80. J’utilise aussi des fibres synthétiques mais vintage, qui sont de très bonne qualité, ça n’a rien à voir avec celles d’aujourd’hui. Je fais vraiment attention parce que mon produit doit durer dans le temps.

 

 

Les marques éthiques et artisanales comme la tienne ont un certain coût. Ce qui n’est pas toujours compris car nous sommes habitué·es à des prix très bas dans la mode, mais qui signifient souvent l’exploitation des travailleur·euses textile et des matières toxiques pour l’environnement. Comment expliques-tu tes prix aux gens ?

 

C’est beaucoup de pédagogie ! Mais les gens sont très intéressés et curieux. Parce qu’ils peuvent entrer dans mon atelier et voir, ils arrivent à se projeter. La machine est impressionnante, donc ça aide à se dire que ça a l’air fou, ils voient une technique inconnue !

Je donne aussi des workshop et je suis beaucoup dans la transmission. C’est quelque chose que j’adore mais c’est aussi un moyen réfléchi pour amener les gens vers des produits artisanaux et montrer que c’est un travail fastidieux. Ils sont souvent étonnés, par exemple de la force de bras qu’il faut pour la machine. Ils repartent avec une autre idée de ce qu’est l’artisanat. Ça ne veut pas forcément dire qu’ils vont immédiatement investir dans des pièces éthiques, mais il y a une petite graine qui est plantée.

 

 

Pour shopper les créations d’Amandine, c’est par ici, et pour lui donner de la force sur Insta, c’est par là. Vous pouvez aussi passer une commande personnalisée pour l’adapter parfaitement à vos goûts et à votre morpho.

 

Claire Roussel