Le jour de gloire est arrivé

 

Comme tous les jours, vous scrollez votre feed Insta. Entre contouring et highlitghters en pagaille, vous captez un nouvel élément qui a intégré la routine beauté des influenceuses. Tout droits sortis d’un épisode de votre télé réalité préférée, les faux ongles, et autres nail art, s’affichent aujourd'hui partout (et surtout sur les doigts de Rihanna, Kylie Jenner, Cardi B, Sita Abellán ou encore le rappeur portoricain Bad Bunny). Mais si les pop stars ont depuis toujours misé sur la manucure YOLO (cf Cher et de Barbara Streisand), ce sont dorénavant les maisons de Haute-Couture qui se lancent sur l’autoroute du nail art.

L’ongle manucuré et peinturluré est désormais l’accessoire ultime : chez Gucci, Moschino, Jeremy Scott, Kim Shui ou encore The Blonds aux derniers défilés de la collection Printemps-été 2019. Un retour en grâce qui met en lumière le travail d’orfèvre des nail artists. Loin de l’image un peu old school du salon de manucure de mamie, les artistes comme @nailsbymei, @nail_unistella ou encore @krocaine sont désormais considérés comme de véritables créateurs. Plus près de chez nous, et sans avoir besoin d’être Cara Delevingne pour avoir ses entrées, Citadium a invité les experts de nailxperience pour sublimer vos ongles entre deux séances de shopping.

La philosophie du toujours plus

 

Bien-sûr, le nail art n’a pas attendu Instagram pour exister. La beauté des ongles a en fait toujours représenté un enjeu pour l’Homme. Pas de french manucure à la préhistoire of course, mais en 5000 avant JC, les Indiennes décoraient déjà le bout de leurs doigts avec du henné. Les Chinois, 2000 ans plus tard, utilisaient un mélange à base de blanc d’oeufs, de plantes et de cire pour obtenir des ongles aux teintes plus rosées. Ce n’est cependant qu’à partir des années 70 que la pratique du nail art se développe grâce à la marque OPI qui inaugure l’usage de la technologie acrylique pour les ongles, permettant le développement des extensions.

Presque 50 ans plus tard, c’est l’enthousiasme du commun des mortels pour l’esthétique maximaliste qui marque le renouveau de la manucure. Fini les ongles courts et les teintes unies ou nude. Aujourd’hui, la mode est aux motifs, au kitsch, aux couleurs intenses, aux accessoires brillants ou aux formes longues. Les ongles sont devenus un tel terrain d’expérimentation et de fantaisies que certains nail artists, reconvertis en inventeurs fous, s’amusent à transformer nos doigts en finger spinner, en grappe de maïs ou en chicha portative sous le regard ébahi (ou plutôt perplexe) de millions d’internautes. À leur manière, ils développent l’idée que les ongles sont devenus un territoire de tous les possibles où chacun peut désormais affirmer sa personnalité, aussi étrange soit-elle.

Nostalgie, quand tu nous tiens

 

Ce qu’on a du mal à comprendre, c’est la raison d’un tel enthousiasme pour un truc aussi peu pratique. (Essayez de vous gratter le coin de l’oeil avec ces griffes sans dommages collatéraux). Un premier élément de réponse est à chercher dans la nostalgie des 1990’s et 2000’s. A l’heure où tout le monde semble porter des Tn et des lunettes teintées tout en écoutant les Destiny’s Child, il n’est pas étonnant de voir le nail art et les faux ongles, particulièrement appréciés à cette période, refaire surface. D’ailleurs, l’artiste américaine Teyana Taylor a carrément ouvert, en partenariat avec la marque OPI, un salon de manucure « ambiance années 90 », dans le centre d’Harlem. À sa soirée inauguration, des icônes du hip-hop de cette époque, comme Missy Elliott et Lil Kim, étaient présentes afin d’afficher leurs plus beaux ongles pour le photo call.

Et si cette nostalgie nous permet aujourd’hui d’exprimer nos fantasmes d’adolescents, elle est symptomatique d’une tendance plus globale. Pour les nail artists Eda et Anna Levenson récemment interrogées par Vice au sujet de cet engouement, outre le moyen d’exprimer un style qui nous est propre, le nail art permet de prendre du temps pour soi « comme une réponse au climat d’insécurité qui règne actuellement ». Face aux menaces politiques et environnementales ou aux difficultés rencontrées sur le marché de l’emploi, notre génération est plus sujette aux symptômes dépressifs que les générations précédentes. Bien-sûr, si nos problèmes pouvaient se régler à coup de manucure, ça se saurait. Cependant, prendre du temps pour soi en affirmant sa personnalité sur ses ongles, ça ne peut pas faire de mal. Puis, c’est surement moins risqué que de tenter la teinture bleue ou le tatoo tribal.