« C’est un pervers narcissique, tu ne peux rien faire, fuis-le. » Cette phrase vous semble familière ? C’est normal. Depuis quelques années, la thématique du « pervers narcissique » revient à l’envi dans nos conversations entre amies ou dans nos podcasts préférés. Y aurait-il une épidémie de perversion narcissique chez tous les cismecs de France et de Navarre ? En tout cas, beaucoup de nos connaissances féminines hétéros semblent en avoir déjà croisé un.

 

 

C’est quoi, un « pervers narcissique » ?

 

Dans son ouvrage Le Harcèlement moral, la psychiatre et psychanalyste Marie-France Hirigoyen, spécialisée dans les violences, explique : « les pervers narcissiques sont considérés comme des psychotiques sans symptômes, qui trouvent leur équilibre en déchargeant sur un autre la douleur qu'ils ne ressentent pas et les contradictions internes qu'ils refusent de percevoir. Ils "ne font pas exprès" de faire mal, ils font mal parce qu'ils ne savent pas faire autrement pour exister. Ils ont eux-mêmes été blessés dans leur enfance et essaient de se maintenir ainsi en vie. Ce transfert de douleur leur permet de se valoriser aux dépens d'autrui. »

 

Cette notion venant de la psychanalyse ne fait toutefois pas consensus au sein de la communauté psycho-scientifique et ne figure pas dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM). Aussi certains professionnels préfèrent-ils parler de trouble de la personnalité narcissique, que la docteure en psychologie Monique Renard-Kuong définit comme « une forme de mégalomanie ». « Il y a à l'origine une défaillance de l’estime de soi. Ce manque de confiance doit être alimenté par des choses extérieures. La personne va s'entourer de gens très brillants, et, en même temps, va dénigrer ceux qui ne sont pas assez brillants à ses yeux. »

Le DSM évalue la proportion de personnes atteintes de trouble de la personnalité narcissique à 6,2 % maximum chez les Étatsunien·nes et précise que cette pathologie est « plus fréquente chez les hommes que chez les femmes ».

 

 

Psychologie vs socialisation

 

Dans tous les cas de figure, il est important de savoir distinguer une relation fondée sur des violences psychiques d’une histoire simplement déséquilibrée. Car on n’a pas besoin d’être un ignoble manipulateur pour se montrer égoïste ou méchant. Ces traits de caractère sont même valorisés chez les hommes, et ce dès le plus jeune âge. « Comme toutes les femmes dans notre société occidentale et certainement dans d'autres sociétés, on a le devoir de porter la charge émotionnelle et relationnelle », note Monique Renard-Kuong. « Les femmes sont donc reconnues pour leurs soi-disant qualités empathiques, et on normalise le fait que les hommes n’y fassent pas plus attention que ça. »

 

Les comportements socialement valorisés chez les hommes, que ce soit à travers la culture populaire, les médias, la pub ou la socialisation, sont au contraire des attitudes virilistes, impulsives, voire toxiques. D’où une empathie moins prononcée.

Loin de jeter la pierre aux femmes qui utilisent abusivement le terme de « pervers narcissique », Monique Renard-Kuong les comprend. Car dire cela de son ex ou son conjoint, c’est aussi trouver un début d’explication à une situation difficile, voire dangereuse. « Ça vient répondre à un besoin de comprendre ce qui se passe, et c’est peut-être aussi une façon de lâcher prise. D’un côté, c'est bien pour les victimes car ça leur permet de partir, mais de l'autre, ça crée des usages de vocabulaire un peu tordus, un peu exagérés. »

 

 

Un amalgame dangereux

 

La conséquence de cet amalgame entre « perversion narcissique » et égoïsme est problématique, car de nombreuses femmes tombées sur des connards excusent sans le savoir leurs comportements misogynes. En d’autres termes : si le gars qui vous a manqué de respect est un pervers narcissique, c’est que, quelque part, il est malade… Et qu’il n’y peut rien. Pourtant, quand François-Xav’ vous a trompée en octobre dernier, il était parfaitement conscient de ce qu’il faisait. Et il aurait très bien pu ne pas le faire s’il n’avait pas été un gros miso. Rangez donc le diagnostic psychanalytique hasardeux et préférez les insultes, plus appropriées.

 

Maud Le Rest