FÉMINISME EN TERRE DU MILIEU : ON REVIENT DE LOIN

 

On va pas se mentir : le monde du Seigneur des Anneaux a des qualités merveilleuses, mais le féminisme n’en fait pas partie. Dans les livres de Tolkien, les femmes sont rares et occupent des rôles anecdotiques ou stéréotypés à mort. Arwen est évoquée pour sa beauté et son histoire avec Aragorn, Galadriel est puissante mais sert uniquement d’appui aux héros sans agir directement. Ok, Eowyn est une guerrière qui défonce le général principal de Sauron, mais elle est surtout écrite via son amour pour Aragorn puis Faramir. Les films des années 2000 font un petit effort en ajoutant quelques scènes d'action et de l’initiative aux héroïnes, mais ça reste bof.

L’adaptation ciné du Hobbit a aussi tenté - et échoué - d’améliorer ses représentations féminines en créant le personnage de Tauriel. Problème : cette magnifique guerrière elfe qui vit une histoire d’amour interdite avec un nain n’a aucune nuance et sert plus de token que de vraie représentation à laquelle des spectatrices pourraient s’identifier. Et nop, créer un seul personnage féminin badass mais qui reste très normé, c’est pas spécialement féministe.

 

 

THE RINGS OF GIRL POWER

 

Dix ans et un #MeToo plus tard, le mémo a l’air d’être passé chez Hollywood : Nori, jeune Harfoot aventureuse, Míriel, reine typiquement powerful, Bronwyn et son sacré sens de l’initiative, ou encore Disa, princesse naine espiègle... The Rings of Power comprend de nombreux personnages féminins, principaux comme secondaires. Le plus important : ces femmes sont bien différentes les unes des autres, chacune ayant des qualités, des parts d’ombre et de l’agentivité. You get it, elles sont écrites avec complexité et ça fait plaiz.

L’héroïne de la série n’est autre que Galadriel, en pleine quête pour débusquer la planque de Sauron. En regardant le trailer, on pouvait s’inquiéter d’une écriture caricaturale du personnage, réputée pour sa sagesse, qui se serait mutée en warrior basée uniquement sur un idéal viriliste. Mais au calme : si la jeune Galadriel est plus vener que sa version âgée dans le Seigneur des Anneaux, elle reste nuancée et réfléchie, tout en maniant habilement une épée stylée.

 

La série évite aussi l’écueil de la torture “divertissante” de ses héroïnes (coucou House of Dragon), qui rencontrent des difficultés coriaces sans pour autant être liées à leur genre et traumatiser l’audience juste pour faire avancer l’intrigue. On note quand même que les scénaristes n’ont pas résisté au cliché de l’amour hétéro interdit entre l’humaine Bronwyn et l’elfe Arondir. Un style d’intrigue typique dans l'œuvre de Tolkien, mais qui commence à dater en 2022.

Pour le moment, The Rings of Power se débrouille plutôt bien côté féminisme. Comprenez : c’est le niveau minimum que devrait avoir n’importe quelle production, mais c’est assez rare pour le souligner.

 

Le casting est également relativement diversifié au niveau des personnages racisés, ce qui n’a pas manqué de déclencher un tollé raciste sur Twitter, *soupir*. Reposons les bases :

1/ on parle d’un monde fictif fantastique, donc l’argument “c’EsT pAs REaLisTe uN ELf MétISse”, c’est poubelle

2/ stop déguiser son racisme en passion pour Tolkien qui évoquait déjà des Harfoots racisés dans ses textes

3/ au fond osef de ce qu’il en penserait *gasp*, on est en 2022 et vu la popularité de cette production, c’est évidemment positif qu’elle contribue à une représentation inclusive.

 

 

ÇA RAPPORTE À QUI ?

 

Y’a du progrès niveau diversité dans la Terre du Milieu - on vous laisse vous faire votre avis sur les autres aspects de la série -, mais il reste un couac. Parce que The Rings of Power est quand même produite par Amazon Studios pour Prime Video, aka la plateforme d’Amazon, aka la méga entreprise possédée par Jeff Bezos. Si c’est cool qu’une aussi grosse production normalise la diversité, elle rapporte quand même un sacré paquet de thunes à une entreprise qui exploite ses employé·es et détruit l’environnement. Et là, c’est sûr que Tolkien se retourne dans sa tombe.

 

Claire Roussel