Le pitch sans spoiler : c’est l’histoire a priori banale de deux couples trentenaires parisiens (Emma et Léo, Esther et Waël) - qui sont bien “installésdans la vie et dans leur quotidien : un appart en commun, un boulot stable, les mêmes ami·es, les mêmes soirées, des envies, des projets et une sexualité tranquille (coucou les relations de dix ans). Bref : tout va bien, jusqu’au jour où Emma avoue à Léo qu’elle désire très fort une femme qu’elle a rencontrée au travail, et qu’elle a très envie de sauter le pas et de coucher avec elle. Sans lui. Mais sans pour autant mettre un terme à leur relation.

 

 

#1 Routines versus fantasmes

 

Vivre en couple exclusif, construire ensemble une routine, faire du sexe en mode missionnaire le dimanche, et être parfois ami·es plutôt qu’amant·es… la série montre (sans la juger pour autant) la réalité de ce que peut-être le couple de longue date aujourd’hui. Et en profite pour questionner les modes d’exploration de la sexualité qui lui sont associés - comme étant plus ou moins épanouissants pour les partenaires.

Parce qu’une fois n’est pas coutume : la triade hétéro préliminaires-coït-éjaculation masculine ne suffit pas (forcément) à satisfaire tout le monde. Bref : c’est en prenant soudainement conscience du fait qu’ils sont enfermés dans une sorte de train-train quotidien que Léo et Waël vont tous deux “accepter” d’ouvrir leurs couples, selon des modalités différentes.

 

Pour Léo, il s’agira d’accepter que sa partenaire puisse aller “voir ailleurs”, sans que lui en ressente le besoin au début. Il lui faudra dealer avec ses insécurités, sa peur de perdre sa partenaire qui lui a pourtant bien expliqué dès le départ que ça ne remettait pas du tout en cause les sentiments amoureux qu’elle lui porte. Sans compter qu’il ne comprend plus du coup si Emma est bisexuelle, lesbienne, ou hétéro (alors que la sexualité est un spectre :)).

 

Pour Waël, il s’agira de se lancer dans une grande aventure d’expérimentations sexuelles de tous types : plan à 4, pénétration anale, téléphone rose… Il est prêt à tout pour montrer à sa partenaire (et au monde entier) qu’il n’est pas le mec coincé qu’il a peur de devenir. Quitte à faire des trucs... qui lui plaisent plus ou moins, en fait.

Évidemment, l’idée est intéressante, puisque ces deux couples acceptent de changer les “termes” de leurs relations dans le cadre d’un commun accord. Mais dans un premier temps, il y a aussi quelque chose de plus “performatif” qui nourrit cette envie chez Léo et Waël. Pour l’un, parce qu’il n’est pas à l’initiative de cette “quête de changement” et qu’il a l’impression que son couple est en danger (à base de : “comment ça, je ne te suffit pas ?” ou encore de “moi aussi je peux coucher avec d’autres personnes si je veux”). Pour l’autre, parce qu’il a peur de ne pas être à la hauteur du désir, des fantasmes et des envies de sa meuf, et qu’il accepte de tout remettre en question. Pas facile (du tout) de déconstruire sa masculinité, de la réinventer, de l’assouplir.

 

Une aventure bancale entre désir d’expériences et quête de performances qu’ils tentent d’ailleurs de mettre en scène dans un projet de roman graphique (tous deux sont artistes-bédéistes) pour raconter leurs pérégrinations de couple - une BD qui existe d’ailleurs pour de vrai et que vous pouvez découvrir juste ici.

 

 

#2 Dépoussiérer le plaisir cis-hétéro

 

Ce que la série raconte aussi, c’est qu’il est tout à fait possible de partager une histoire très forte et d’avoir envie de choses parfaitement différentes : on n’a pas forcément les mêmes fantasmes, les mêmes envies, les mêmes diktats à déconstruire et c’est tout à fait OK - plus encore si les deux partenaires sont partant·es pour faire ce taf de déconstruction et avancer ensemble.

Plusieurs choses que la série nous a apprises à ce sujet :

 

Proposer n’est pas imposer. On peut toujours parler à notre/nos partenaire/s de ce dont on a envie, sans pour autant leur donner l’impression de leur mettre “le couteau sous la gorge”. L’objectif : ouvrir la conversation, le dialogue, le débat. Et pourquoi pas essayer quand tout le monde se sent prêt.

 

Accepter de ne pas vouloir la même chose ne veut pas dire mettre un terme à nos histoires. Parfois, c’est en parlant qu’on avance, qu’on se confronte à nos fantasmes, qu’on les fait vivre. Parfois, aussi, on peut se contenter de fantasmer, sans avoir envie de passer à l’action. Tout dépend du ressenti de chacun·e.

 

Sortir de sa “zone de confort” pour montrer qu’on est “libéré·e sexuellement” n’est pas franchement la meilleure des idées. Tout simplement parce qu’on tombe rapidement du côté de la performance, aussi bien cis-masculine (et attention danger sponso toxicité au tournant) que cis-féminine (et attention piège au tournant, surtout dans ce monde patriarcal et violent, tmtc).

Ceci dit, pour déconstruire et apprendre il faut savoir essayer. Un exemple criant ? L’invisibilisation de l’orgasme prostatique dans les sexualités hétéro. La pénétration anale masculine est un tel tabou qu’il faut limite une bonne dose de courage à Waël pour tenter l’expérience avec Esther. Alors que bon… quand y a orgasme dedans, a priori c’est que c’est sympa, non ? Enfin, si on en a envie, of course (on a dit pas d’injonctions supplémentaires, SVP :)).

 

Donner vie à ses fantasmes = les confronter au réel. Et donc, potentiellement, réaliser / devoir accepter que c’est bien différent de ce dont on s’imaginait ou bien que ça ne “marche pas”. Parfois, ça demande simplement un peu d’entraînement (because toutes les premières fois sont loin d’être les meilleures), parfois c’est juste que ce n’était pas ce qu’on voulait (coucou les déconvenues quand on essaye un plan à 3 pour de vrai, héhé) - comme on vous en parlait d’ailleurs déjà dans cet article.

 

 

#3 (Re)découvrir son/le couple et sa sexualité

 

Je ne sais pas où j’en suis mais je sais qui je suis : dans l’un des derniers épisodes de la série, Esther, qui est à moitié-duper et à moitié-épanouie, sort cette phrase à Emma. Qui lui répond du tac au tac : “Plus de bordel mais moins de flou, quoi.

Ce que raconte cet échange ? Que prendre le risque d’explorer, de rebattre les cartes de nos relations et de notre sexualité peut certes être déstabilisant (voire franchement effrayant pour certaines personnes #pasfaitpourtoutlemonde), MAIS peut aussi beaucoup nous en apprendre sur nous-mêmes. Plus encore quand on est une meuf cis-hétéro et qu’on a toujours eu du mal à explorer sa sexualité sans se faire slut-shamer / se retrouver dans des relations longues à la chaîne / se retrouver dans des plans cul à la chaîne.

 

Ce qu’il y a de très beau dans cette série, c’est qu’elle raconte à quel point c’est douloureux mais aussi très puissant d’accepter l’immensité de ses désirs, et de déconstruire l’hétéronorme pour que chacun·e puisse découvrir qu’iel est dans le respect et la bienveillance. On ne vous apprend rien finalement en vous disant que la sexualité hétéro est tout particulièrement cerclée de normes, de diktats et de tabous ?

 

Et ça veut aussi dire que :

 

On prend sa liberté pour soi avant tout, et pas “contre l’autre”. Comme on l’a vu au point précédent : proposer n’est pas imposer. Et même si ça peut être dur de voir que ça fait souffrir l’autre / que ça le met dans un état d’insécurité, c’est toujours une bonne chose d’ouvrir le dialogue, surtout quand on devient obsédé·e par le sujet (coucou le personnage d’Emma dans la série).

Ceci dit, on a aussi besoin parfois de se détacher des choses qui nous entravent pour devenir pleinement nous-mêmes. Pour mieux (re)découvrir notre sexualité et notre plaisir. Et peut-être même (pourquoi pas) notre orientation sexuelle. Et oui, bien sûr : ça arrive que ça foute le bordel dans nos relations, et parfois même qu’elles en souffrent. Mais c’est aussi de cette manière que l’on peut grandir avec elles.

 

Et sur ces bonnes paroles, on ne vous en dit pas plus (ce serait vraiment tout gâcher), mais juste : regardez cette série. Le twist final vaut le détouuuur <3

 

 

Fluide, une mini-série de Thomas Cadène, Joseph Safieddine et Sarah Santamaria-Mertens, à découvrir gratuitement sur Arte.tv.