Allô la poésie ?

 

Pour cette sélection, nous avons choisi de vous faire découvrir deux recueils et une revue de poésie qui sont chères à nos corps et nos cœurs :

 

#1 La Revue Soeurs, et plus particulièrement son deuxième numéro intitulé Douces ? (aka ce mot qui cristallise la question des injonctions patriarcales qui pèsent sur les personnes qui se construisent socialement en tant que femmes). Parmi leur sélection très riche, nous avons choisi de vous présenter :

 

Marie-Célie Agnant, une poétesse, nouvelliste et romancière haïtienne née en 1953, et qui travaille notamment sur la question des enjeux postcoloniaux, de la mémoire collective et individuelle, du trauma lié à l’esclavage. On vous propose de découvrir aujourd’hui son poème Euménides (aussi appelées Erynies, aka les Déesses du Remord).

 

Soleïma Arabi est une poétesse, artiste, actrice et metteuse en scène québécoise, qui a grandi entre le Cameroun et la Côte d’Ivoire. On vous propose de découvrir aujourd’hui un poème (sans nom) issu de son premier recueil : Déferlante.

 

Zoé Besmond de Senneville est une comédienne, poétesse et modèle française. Elle est codirectrice du Bordel de la Poésie à Paris avec Rim Battal. On vous propose de découvrir aujourd’hui son poème au titre éloquent Être une femme.

 

 

#2 Le recueil Je transporte des explosifs on les appelle des mots, paru aux éditions Cambourakis, et dont le titre est extrait du poème non moins explosif de Mohja Kahf (dont on vous laissera découvrir la suite dans le livre #teaser). Moitié-essai, moitié anthologie de poèmes (bilingue en plus, SVP), ce recueil coup de cœur retrace les liens tissés entre la poésie, le féminisme et le militantisme aux États-Unis. Parmi cette sélection très riche, nous avons choisi de vous présenter :

 

Kitty Tsui, une poétesse et activiste sino-étatsunienne, lesbienne butch et championne de body-building. Nous vous proposons de découvrir aujourd’hui son poème Ne m’appelez pas monsieur, appelez-moi puissante (aka Don’t Call Me Sir, Call Me Strong), tel que traduit dans le recueil de Cambourakis.

 

corbett, une mystérieuse poétesse se définissant comme femme handicapée de la région de San Francisco. Les éditeur·ices du recueil n’ont pas su retrouver plus d’infos sur elle ou son identité. En attendant, on vous propose de découvrir un extrait du sublime poème de simples vérités (aka Simple Truths), tel que traduit dans le recueil de Cambourakis.

 

Audre Lorde, une poétesse et autrice afro-étatsunienne et lesbienne (qu’on ne vous présente plus, si ?). New-yorkaise née de parents caribéens, sa poésie est à la lisière perpétuelle de la littérature et du militantisme. On vous propose de découvrir aujourd’hui son poème Une femme parle (aka A Woman Speaks), tel que traduit dans le recueil de Cambourakis.

 

 

#3 Le recueil à nos humanités révoltées de Kiyémis. Où l’on découvre une poésie magistrale, sororale et décoloniale : des textes puissants pour prendre la parole face aux systèmes d'oppressions, pour se réapproprier son corps et crier sa liberté et sa colère. On vous propose de découvrir aujourd’hui deux poèmes de ce recueil : Self Hate, et Sous les coups, la joie.
 

📸 Daria Sannikova

 

Si votre corps est le lieu d’une révolte qui gronde

Euménides - Marie-Célie Agnant


 

J'ai dans le corps des manières

de torrents en délire

Grondements de terre en soubresauts

Rebelle
 

La révolte dans le corps

ancrée

dès la première aube


dans la langue des hommes

point de mots

pour peindre mes remous
 

J'ai dans le corps des mots fous

déferlent

cendre soufre laves
 

et le temps depuis les Erinyes

dans mon corps

n'est plus le temps
 

soifs

montagnes

roches chauffées à blanc

éclats


 

Revue Soeurs #2 : Douces, édition hiver 2021, à découvrir (ainsi que le premier numéro) par ici !


 

 

📸 cottonbro

 

Si votre corps est la fabrique de désirs qui vous brûlent et vous réveillent

Poème sans nom - Soleïma Arabi


 

Au creux de l’été

Tu te niches dans les mots

Mais dans tes cheveux

Cigarettes et cigales
 

Aux murmures des soirs

À remplir des verres

Tu offres tes secrets

Comme dedans ça crépite
 

Dans la torpeur des journées

Débordée de trop d’hivers

Sentiments plats et hommes tièdes

Aller à l’océan
 

Par tous les temps


Mettre une robe

Relever sa crinière

Lécher ses plaies

Les faire sécher au soleil
 

Lire un bon livre

S’endormir douce

Se réveiller brûlante de rêves

Désirs au coin de la bouche


 

Revue Soeurs #2 : Douces, édition hiver 2021, à découvrir (ainsi que le premier numéro) par ici !


 

📸 Anna Avilova

 

Si votre corps est le lieu de mille contradictions

Être une femme - Zoé Besmond de Senneville


 

Être en vie/une femme/présente/juste là

c’est quoi

Tu dirais quoi toi

Et qu’est-ce que ça fait
 

En face de toi

C’est doux

C’est dur doux beau épineux compliqué moelleux sensuel torturé dramatique simple limpide émouvant ému vivant voluptueux lyrique rêveur chantant magique simple accueillant fantastique


C’est

Être pleine de mémoires

Et de doutes

C’est vouloir

C’est le désir

C’est avoir des mains des pieds et des dents

Qui mordent avancent soignent courent saignent veulent sentent engendrent créent

C’est le désir de la vie

La magie

C’est avoir un corps

Tout puissant

Et s’en rendre compte petit à petit

C’est avoir une peau

Qui coule compte flotte brille puise se souvient

Intègre guérit

Être une femme

C’est

Voilà c’est comme cela quoi d’autre

C’est tout et rien

C’est avoir tout et rien

Et manger la vie

Et ses peurs et ses doutes ses rêves ses fantasmes

Ses joies et ses mille milliards de voyages dans le temps et l’espace

Et ailleurs

Partout

Partout où on peut


 

Revue Soeurs #2 : Douces, édition hiver 2021, à découvrir (ainsi que le premier numéro) par ici !


 

📸 Anete Lusina

 

Si votre corps est le lieu d’un pouvoir mystique et politique

Une femme parle - Audre Lorde (trad. Getty Dambury)

 

Marquée par la lune touchée par le soleil

mon charme est implicite

mais quand la mer se retirera

elle abandonnera mon corps

je ne cherche pas l’approbation

indifférente au sang

implacable comme le fléau de l’amour

aussi têtue que mes erreurs

ou ma fierté

je ne confonds pas

l’amour et la pitié

ni la haine et le mépris

et si vous voulez me connaître

fouillez les entrailles d’Uranus

où les océans inlassables se fracassent.
 

Je n’habite

ni ma naissance ni mes divinités

moi qui suis sans âge et même pas adulte

cherchant encore

mes soeurs

sorcières du Dahomey

me portent dans leurs toiles nouées

comme autrefois notre mère

endeuillée.
 

J’ai été femme

durant longtemps

méfiez-vous de mon sourire

je suis trompeuse grâce à la vieille magie

et la nouvelle démence de midi

promise à tous vos vastes projets

je suis

femme

et non-blanche.


 

Je transporte des explosifs on les appelle des mots, Poésie & féminismes aux États-Unis, un essai et une anthologie de poésie proposée par les éditions Cambourakis, 22€.


 

📸 cottonbro

 

Si vous arborez le self-love en écusson

de simples vérités - corbett (partie III)


 

je suis une femme pleine de moi-même

pleine d’amour pour mon magnifique corps infirme

pleine d’amour pour mes soeurs handicapées
 

je rejette la haine de soi

je rejette les questions, les doutes, la culpabilité

je rejette tout sauf moi-même
 

je suis une femme pleine de moi-même

je mérite d’être aimée

alors je m’aime

je mérite d’être entendue

alors je m’écoute

je mérite qu’on me voie et qu’on se souvienne de moi
 

je suis une femme pleine de moi-même

          femme

          handicapée

          lesbienne

je suis complète


 

Je transporte des explosifs on les appelle des mots, Poésie & féminismes aux États-Unis, un essai et une anthologie de poésie proposée par les éditions Cambourakis, 22€.


 

📸 Roberto Hund

 

Si votre corps est le lieu d’une badasserie toute puissante

Ne m’appelez pas monsieur appelez-moi puissante - Kitty Tsui

 

on m’appelle monsieur

tout le temps.

des femmes, des hommes,

des serveuses de restaurant,

des commerçant·es derrière leur comptoir,

des stewards à bord des avions.
 

c’est les cheveux courts

ça les trouble.

ou peut-être est-ce parce que

je me tiens la tête haute,

les jambes écartées,

j’ai les épaules larges

et les avant-bras épais.
 

ou peut-être est-ce

ma montre-bracelet

pour homme.
 

(...)
 

je suppose que c’est parce que

j’ai des petits seins,

des gros poings,

que je marche avec les mains dans les poches,

la tête haute,

les jambes écartées,

les épaules larges

et les avant-bras épais,

qu’on me prend pour un homme.
 

il est temps de répliquer.

hé, ne m’appelez pas monsieur

appelez-moi puissante

appelez-moi insolente

appelez-moi inspirée

appelez-moi sûre-de-moi

appelez-moi compétente

appelez-moi confiante

appelez-moi forte

appelez-moi fière.

ne m’appelez pas monsieur

appelez-moi puissante.
 

appelez-moi

femme qui marche

à grandes enjambées,

femme avec des petits seins,

des gros poings,

les mains dans les poches,

la tête haute,

les jambes écartées,

les épaules larges,

les avant-bras épais

et qui porte une montre d’homme.
 

ne m’appelez pas monsieur

appelez-moi puissante.

appelez-moi étoile filante

appelez-moi océan

appelez-moi vague sur vague

appelez-moi vagin

appelez-moi femme.
 

une femme puissante qui soupire

une femme insolente qui aime

une femme inspirée qui travaille

une femme assurée qui chante

une femme compétente qui se réjouit

une femme confiante qui pleure

une femme forte qui psalmodie

une femme fière qui vient.
 

une femme fière

qui devient elle-même.


 

Je transporte des explosifs on les appelle des mots, Poésie & féminismes aux États-Unis, un essai et une anthologie de poésie proposée par les éditions Cambourakis, 22€


 

📸 Agung Pandit Wiguna

 

Si votre corps doit se délivrer de ses entraves et du désamour de soi

Self-Hate - Kiyémis


 

Ces yeux m’encagent

Je suis enfermée, ils m’éteignent.

J’entends les cris au-dehors

Ils veulent jeter la clé.
 

Ces yeux m’encercueillent

Ils me cachent

Me soustraient du monde

Me font disparaître.
 

Ces yeux sont des fouets

Ils lacèrent chaque partie de mon corps.

Sur la chair grasse, des cicatrices s’érigent

C’est mon bûcher, je brûle.
 

Ces yeux sont une mer

De haine dans laquelle je sombre

Inexorablement sans aucune bouée

De sauvetage.
 

Il faudra nager entre les larmes

À contre-courant

Pour retrouver ce sanctuaire

Où, épuisée, je devrais tout reconstruire.
 

Au fond de ces yeux

Dessinés par l’aversion du monde

Se niche une faille

Dans laquelle je m’engouffre.
 

Se jeter contre les vagues

Pour en ressortir nouvelle

Délivrée.


 

à nos humanités révoltées, un recueil de Kiyémis, préface de Gerty Dambury, à découvrir aux éditions Premiers Matins de Novembre, 10€.


 

📸 cottonbro

 

Si votre corps a besoin d’ailes et de sororité

Sous les coups, la joie - Kiyémis

 

Le dessin harmonieux de ton sourire

Apaise mes griffures intérieures

Car les poussières d’un vieux monde,

Qui peine à s’écrouler,

Étouffent mon corps épuisé.
 

Parfois, je m’égare,

Dans les pénombres environnantes.

Ces étincelances me guideront vers toi.
 

Je tends la main vers les étoiles fuyantes,

Instants de bonheur ordinaire,

Pour en parer nos armures de combattantes.
 

Joie inespérée,

Qui purifie mon âme troublée,

Écarte les nuages de ma colère.
 

Alors qu’un rire jaillit de nos lèvres,

Je sens nos plaies fleurir.

S’échappent de nos blessures à vif

Les plumes de nos ailes naissantes.


 

à nos humanités révoltées, un recueil de Kiyémis, préface de Gerty Dambury, à découvrir aux éditions Premiers Matins de Novembre, 10€.