5 poèmes amoureux et vénères pour un éveil écologique et poétique
Dimanche Poésie
On lâche les tips et les infos pour vous embarquer dans le monde merveilleux de la poésie green. Celui où nos autrices préférées prennent le stylo comme elles lèveraient le poing, pour raconter avec fureur et beauté leur amour ou leur colère face à cette Terre au bord du burn-out. Florentine Rey, Nawel Ben Kraïem, Margaret Atwood, Estelle Fenzy. Bienvenue au pays de l’amour du vert et du verbe.
Si vous voulez déclarer votre amour (et soutien) au vivant
Margaret Atwood - Élégie pour les tortues géantes
Laissons les autres prier pour le pigeon voyageur
le dodo, la grue huppée, l’Eskimo :
à chacun sa spécialité
je vais m’en tenir à une méditation
sur les tortues géantes
qui dépérissent finalement sur une île lointaine.
Je me concentre dans les stations de métro,
dans les parcs, je ne parviens pas tout à fait à les voir,
elles se déplacent à la périphérie de mes yeux
mais au dernier jour elles seront là;
déjà l’événement
comme une vague ondulante suscite la vision :
sur la route où je me tiens, elles se matérialiseront,
me croisant lourdement en ligne discontinue
maladroites hors de l’eau
leurs petites têtes dodelinant
de-ci, de-là, leur armure inutile
plus tristes que les tanks et l’histoire,
l’océan et la lumière paralysés dans leurs yeux clos,
elles gravissent péniblement les marches, sous les arches
vers les cubes en verre des autels
où les dieux fragiles sont conservés,
reliques de ce que nous avons détruit,
nos symboles sacrés et obsolètes.
Laisse-moi te dire… Poèmes 1964-1974, un recueil de Margaret Atwood, à découvrir aux éditions Bruno Doucey, 14€
Si la paralysie des politiques vous épuise et vous fatigue
Monoculture - Florentine Rey
Une blague salace
on laisse filer
Une main aux fesses
on laisse tomber
Un S.D.F sur le trottoir
on ignore
Des noyés, des noyés, des noyés
on s’y fait
Inégalités de taux, de peaux, de genres
on sait
L’insupportable sédimente
Bientôt plus rien ne pourra pousser
*
Au square
des hommes en cravate
réclament des miettes
aux petits oiseaux
Allongée sur un banc
je fixe le soleil
pour faire mûrir mes yeux
et les préparer à regarder
la fin
en face
*
Je suis
tu es
nous sommes
un soleil
parmi d’autres soleils
mais on est tous
un peu fatigués
*
Au bout du rouleau
on tire sur le fil
et on remonte
à l’origine
de la tristesse
L’océan déborde
d’une paupière
décousue
L’année du pied-de-biche, un recueil de poèmes de Florentine Rey, à découvrir aux éditions Le Castor Astral, 12€
Si l’état de la planète vous hante et vous dévore
Climatique - Florentine Rey
Quand les abeilles
les hirondelles
et les renards reviendront
la terre sera partie
*
Je traîne en haut du paysage
Le défi : ne pas fondre
J’avale goulûment l’air glacé
Ronde comme une lune
je dévale les cols
et me cogne
aux bords du monde
*
J’ouvre la bouche en grand sous l’ondée
L’eau ressort par mes pieds
Passe en moi ce que le ciel veut confier
à la terre
Rincée
Je m’étends sur un homme
Il me souffle sa force
à l’oreille
*
L’hiver on voit l’homme sans fard
Dans son regard solitaire :
la promesse du dégel
*
Premiers cils de neige
bientôt ils entoureront mon oeil
comme un chardon gelé
*
J’ai les poumons comme deux banquises
Personne à bord pour respirer
Je me secoue
Vagues
Haut le coeur
J’ouvre la bouche
Crache une bouée
*
Je serre un glaçon dans mon poing
Ma chaleur le dégèle et j’ai mal
J’ouvre la main
Dans ma paume un ours blanc se dresse
et crie sa soif
(...)
L’année du pied-de-biche, un recueil de poèmes de Florentine Rey, à découvrir aux éditions Le Castor Astral, 12€
Si la terre et le printemps vous inspirent par leur vitalité
Poème sans nom - Estelle Fenzy
Je voudrais m’asseoir
au pied d’un cerisier
un matin de printemps
Les pétales tomberaient
Je disparaîtrais doucement
sous la promesse des fruits
Revue Soeurs, numéro 3 : Printemps, à découvrir (ainsi que les autres numéros) par ici
Si vous avez envie de chanter pour arrêter de niquer la mer
Les deux mers - Nawel Ben Kraïem
La mer a deux couleurs
Quand c’est plus profond
Elle sait se froncer
D’un bleu de marin
Pas tellement marrant
Qui tait sa douleur
Et tous les secrets
Cris de l’intérieur
Quand c’est plus léger
Pour que les touristes
Ne soient pas si tristes
Elle crée du turquoise
Et efface l’ardoise
Mais au fond on sait
Que l’ardoise est salée
Dans le fond foncé
Où l’on a perdu pied
J’abrite un secret, un recueil de Nawel Ben Kraïem, à découvrir aux éditions Bruno Doucey, 14€