1# Le rêve américain n’est qu’une illusion

 

L’une des forces de la série, c’est la manière subtile dont le réalisateur Mike White a écrit ses personnages, comme de parfait‧es archétypes du rêve américain.

 

Shane, le fils à maman qui travaille dans l’immobilier, tape sa crise quand il se rend compte qu’on lui a attribué la suite Palm avec vue océan et non la suite Pineapple avec jacuzzi et patio privé. Rachel, fraîchement mariée avec lui, réalise qu’elle n’est qu’une trophy wife. Nicole, girlboss par excellence, est tellement accaparée par ses calls Zoom avec la Chine qu’elle ne voit pas que toute sa famille la méprise. Olivia, sa fille, accompagnée de sa bestie Paula, sont les Miss-je-sais-tout de la Gen Z. Mark, le père en pleine crise de masculinité, peine à construire une relation avec son fils Quinn, addict au porno et aux écrans. Sans oublier Tanya, boomeuse libérale insecure au possible, qui envisage toutes ses relations comme des transactions financières.

 

Côté staff, Armond, le manager gay middle-aged replonge dans ses addictions. Lani, sa stagiaire native de Hawaï, lui cache sa grossesse pour ne pas louper un jour de travail. Belinda, la responsable du spa, se fait méchamment gaslighter entre deux chants traditionnels hawaïens. Dillon, un jeune serveur, assouvit autant les désirs de ses clients que ceux de son manager. Et enfin, Kai, mi-serveur mi-danseur natif de l’île, tente d’obtenir réparation sur les conseils malveillants de sa crush.

Aidée par un casting 5 étoiles, la série nous dévoile épisode après épisode que le rêve américain (#quandonveutonpeut) n’est qu’un leurre. Rachel, jeune journaliste issue de la middle class, nous fait réaliser que même en 2021, on peut choisir de se marier pour des raisons purement économiques. Évidemment, on aurait voulu qu’elle quitte Shane mais let’s be real, dans une économie pareille, on comprend qu’elle ait besoin de stabilité financière. De tous‧tes les client‧es, Rachel est la seule à se questionner sur sa carrière. De leur côté, les employé‧es de l’hôtel n’ont pas le luxe de se poser ces questions et font de leur mieux pour satisfaire les besoins des client‧es et de leur égo. On retient que la réussite n’est atteignable que pour certain‧es et que ce sont toujours les mêmes (spoiler : les riches).

 

 

2# L’argent n’achète pas tout (surtout pas le self-love)

 

La série étant centrée sur des personnages richissimes, l’argent revient souvent dans les conversations. Et si certain‧es remettent en cause leur rapport à l’argent, d’autres ne se posent tout simplement pas la question.

 

C’est le cas de Shane par exemple, qui est agacé à l’idée que sa femme Rachel puisse avoir envie de poursuivre sa carrière de journaliste, même pendant les vacances. Pour lui, elle n’a plus besoin de travailler et devrait profiter de son nouveau statut social de trophy wife.

 

Dans la famille Mossbacher, l’argent est tantôt un sujet de débat sur le privilège tantôt un moyen de se racheter quand on fait une erreur. Mark confie à son fils qu’il a acheté des bracelets à 75 000$ à Nicole pour se faire pardonner une infidélité. Résultat : elle ne lui a jamais pardonné et le couple ne se touche plus depuis des années. Leur fille Olivia, qui défend corps et âme la justice sociale, semble pourtant peu se questionner sur la richesse familiale et donc sur la sienne. Quand Paula lui assène qu’elle n’est pas si différente du reste de sa famille, elle s’effondre.

 

S’il y a un personnage clairvoyant sur sa relation complexe à l’argent, c’est Tanya. En plein deuil de sa mère, avec qui elle entretenait une relation chaotique, elle vient noyer sa peine dans les lagons hawaïens (et l’alcool).

Dès le début de son séjour, elle trouve du réconfort au sein du spa de l’hôtel, où Belinda la chouchoute. Tanya, revigorée par son soin, propose à Belinda d’investir pour qu’elle puisse ouvrir son propre salon de bien-être. Là, débute une relation amicale complètement asymétrique entre les deux femmes. À la fois sceptique et enthousiaste, Belinda commence à se projeter. Mais c’était sans compter sur le voisin de chambre de Tanya, qui devient un love interest en 2 secondes 3. Exit le projet de spa avec Belinda, bonjour la love story à Aspen. Tanya sait pertinemment qu’elle est pétrie d’insécurités et qu’elle utilise son compte en banque pour avoir le contrôle dans ses relations. La dernière chose dont elle a besoin dans sa vie, dit-elle, c’est d’une autre relation transactionnelle. Et on la croit, c’est juste problématique que ça se fasse au détriment d’une femme noire, à qui elle avait fait miroiter un bel avenir.

 

Le personnage de Tanya illustre parfaitement le white savior complex, quand une personne - généralement blanche - vient en aide à des personnes racisées de manière intéressée pour faire bonne figure et apaiser sa conscience. Tanya pense qu’en achetant l’affection des autres, elle finira par s’aimer elle-même. Mark espère acheter le pardon de Nicole et Shane le bonheur de Rachel. Leur richesse leur donne l’illusion d’avoir une vie ordonnée mais iels préfèrent aligner les billets plutôt que d’affronter la réalité et avoir des conversations difficiles. On retient qu’iels ont tous‧tes bien besoin d’une thérapie et good for them, l’argent ne sera pas un frein.

 

 

3# On ne peut pas échapper à ses privilèges

 

Désolées pour la team #onnepeutplusriendire mais The White Lotus est la preuve du contraire. Tout le génie de la série est de parvenir à aborder le mépris de classe, le sexisme et l’homophobie (entre autres), sans en faire les thèmes principaux du show.

 

Au White Lotus, le privilège est à tous les étages, qu’il soit de race, de classe ou de genre. Le personnage de Paula, caution antiraciste de sa BFF, est particulièrement intéressant.

L’impérialisme ambiant, à son apogée pendant les spectacles mettant en scène des danses et rituels traditionnels hawaïens, met Paula mal à l’aise. Elle est dérangée - et nous aussi - par l’exploitation des natifs de l’île et de leur culture à des fins de divertissement pour les riches client‧es blanc‧hes de l’hôtel. Là où elle part en vrille, c’est quand elle glisse l’idée à Kai, son crush des vacances, d’aller voler des bijoux à Nicole, la mère de sa meilleure pote, pour obtenir réparation et ne plus se faire exploiter. Premier red flag, quand Kai lui propose de rester sur l’île, elle lui répond qu’elle doit retourner à sa vie et qu’ils ne se reverront probablement plus jamais (Ouch). Pire, elle ne le prévient pas quand Nicole fait un nervous breakdown et retourne dans sa chambre d’hôtel, où Kai est en train d’ouvrir le coffre fort. Malgré ses beaux discours, Paula n’est pas prête à abandonner sa vie aux Etats-Unis et les privilèges dont elle profite via son amitié avec Olivia.

 

Au-delà d’une critique de la blanchité, discutée dans cet article de Refinery29, The White Lotus nous montre qu’on ne peut pas échapper à nos privilèges. Les reconnaître est une chose, agir en est une autre. Les personnages d’Olivia et Paula, qui lisent Frantz Fanon et Freud au bord de la piscine, illustrent à merveille l’activisme performatif (vous savez, quand quelqu’un passe plus de temps à montrer sa conscience politique sur les réseaux sociaux plutôt que de s’investir réellement pour la cause). C’est cette société woke, coincée entre le désir d’agir et le besoin de le montrer qui est subtilement moquée dans la série. Ce qu’on retient, c’est que personne n’a l’air prêt à abandonner ses privilèges et que ça met tout le monde mal à l’aise, nous y compris.

 

 

The White Lotus, série écrite et réalisée par Mike White, à découvrir sur OCS et à suivre sur Instagram


 

Justine Sebbag