Quand le self-care vire à l’individualisme

 

En 2023, les injonctions au self-care sont partout : sur Instagram, le compte @wetheurban, suivi par plus de 6 millions d’abonné·e·s, nous rappelle tous les jours de muscler nos boundaries et de penser à nous, tandis que sur TikTok, des milliers de vidéos nous expliquent ce que nous devons exiger en amour pour échapper aux relations toxiques (la sécurité, la consistance, la transparence mais aussi l’espace de grandir… rien que ça). Tout cela en nous renvoyant rarement à nos propres défauts.

 

Cette tendance #MeFirst n’a pas épargné les participant.e.s de Love is Blind, qui, sous couvert de chercher le ou la partenaire idéal.e, parlent en fait beaucoup… d’eux-mêmes. Leurs attentes amoureuses sont très autocentrées : « Je cherche quelqu’un de sportif comme moi » déclarait par exemple Raven dans la saison 3, tandis que dans la saison 4, Zach résume : « Je veux une épouse qui me soutienne ». Lorsqu’ils parlent de ce qu’ils aiment chez leur moitié, on se rend compte qu’ils ne semblent percevoir l’autre que par ce qu’il ou elle leur apporte à titre personnel. « Il me fait garder les pieds sur terre » confie Micah. « Elle m’inspire pour écrire » avance quant à lui Marshall. Me, myself and I.

Dater comme on fait ses courses

 

Se prioriser, c’est bien, et c’est même important pour se protéger. Mais à force de trop concevoir sa relation par le prisme de son intérêt, la recherche de l’amour finit par ressembler à une session shopping. Les couples de l’émission se heurtent souvent au même écueil : l’incapacité à tolérer les défauts de l’autre, ou le fait qu’iel ne corresponde pas en tout point à leurs envies.

 

«J’avais du mal à envisager Micah dans le rôle d’une mère » confie Paul pour expliquer son refus d’épouser la jeune femme. « Certaines personnes savent prendre soin des autres et je ne vois pas ça chez elle ». Pire, cet hyperfocus sur leur propre bien-être fait parfois barrage à la dure réalité (iels ne se plaisent pas). « J’aime la façon dont tu honores mes limites » explique ainsi Irina à Zack… pour le larguer une semaine plus tard, avouant qu’elle n’a jamais été attirée par lui.

Le compromis, vrai ciment amoureux ?

 

Les couples qui réussissent à passer le cap sont finalement ceux qui réussissent à trouver un juste milieu entre leurs attentes et celles de leurs partenaires, et les apprécient pour qui iels sont vraiment. Eh oui, peu importe à quel point vous matchez avec votre moitié : le sel d’une relation, c’est aussi la capacité à se décentrer de soi-même.

 

Dans la saison 4, le couple goal (Tiffany et Brett) sont ainsi sincèrement intéressé·e·s l’un·e par l’autre et non par ce qu’iels se renvoient mutuellement. « Tu rends les gens autour de toi plus heureux » déclare Brett à sa fiancée, tandis qu’elle loue son humilité et sa gentillesse. Chelsea et Kwame, un autre successful couple, évoquent pour leur part des sacrifices que leur mariage nécessitera (déménager, ne pas avoir d’enfants tout de suite…). C’est justement parce que ces sujets ne sont pas tabous qu’ils parviennent finalement à se dire oui. Et même si Zack est un peu cringe, il admet quand même que « c’est facile de faire des sacrifices pour Bliss, parce qu’elle ferait la même chose pour moi ». Cute.

 

Alors bien sûr, on peut rire de ces couples dont on a l'impression d’avoir suivi toute l’intimité depuis notre canapé. Tout paraît si fake et si préparé qu’on a du mal à prendre ces histoires au sérieux. Pire encore, de nombreuses candidates ont partagé les conditions de tournage compliquées auxquelles elles ont été confrontées (manque de sommeil, alcool, faim…etc.) et nous invitent à prendre encore plus de recul sur ces images sur-glossées et trafiquées de l’amour parfait et du mariage. Cependant, on continue à regarder Love is Blind tous les ans et on rajoute même parfois une petite couche de Mariés au Premier Regard. Preuve que si le romantisme est mort, on a aussi, parfois, envie d’y croire un tout petit peu.

 

 

Lena Haque