Ravissement = apps de rencontre

 

Épisode réputé initial (...) au cours duquel le sujet amoureux se trouve “ravi” (capturé et enchanté).

 

C’est le tout premier moment de la temporalité amoureuse. C’est le temps de la découverte, où on s’émerveille d’un point commun trouvé au hasard d’une discussion (comme si vous n’aviez pas déjà scrollé 3 fois l’intégralité de son compte Instagram, on vous a vu)... Bref, c’est le fameux “coup de foudre”.

 

Arrêtons-nous un instant sur cette drôle d’expression, qui laisse entendre que l’amour nous tombe dessus par surprise, sans qu’on s’y attende. En réalité, il y a un terrain favorable à la rencontre, puisque chacun “cherche des yeux, sans en avoir l’air, qui aimer. En effet, la rencontre n’apparaît-elle pas justement comme une “évidence” parce qu’au final, on cherche des personnes qui nous ressemblent ?

 

La rencontre devient alors fictive, puisque l’autre vient là où je l’attend. Des mariages arrangés - qui avaient pour but de rapprocher la fortune et les titres de deux familles - aux rallyes mondains actuels, les relations amoureuses ont toujours plutôt confirmé l’adage “qui se ressemble s’assemble”. Si l’arrivée des sites de rencontres aurait pu ouvrir nos horizons, le problème est le même. IA, algorithme, données… La rencontre ne laisse plus aucune place au hasard. Alors que c’est quand même beaucoup plus intéressant de découvrir l’autre dans ses différences. Et non, ce n’est pas dramatique si iel n’a pas vu la performance de Rihanna au Super Bowl, et vous allez peut-être vous découvrir de nouvelles passions (OK les fans de crypto et NFT c’est next).

 

 

Attente = connexion permanente

 

Tumulte d'angoisse suscité par l’attente de l’être aimé, au gré de menus retards (rendez-vous, téléphones, lettres, retours).

 

Que celleux qui ne sont jamais désespéré·es d’un message laissé sans réponse plus de 2 heures lèvent la main. Par définition attendre nous rend sujet, dépendant de la personne qui nous fait poireauter. Attendre plus de 5 minutes à la Poste transforme le meilleur d’entre nous en personne exécrable (on vous aime les béliers). Partout où il y a attente, il y a transfert de pouvoir. C’est évidemment le même mécanisme dans les relations amoureuses, renforcé aujourd’hui par internet.

 

Si le téléphone a déjà supprimé le délai “possible” de nos communications, Internet nous oblige désormais à une sorte de disponibilité permanente. Statut “en ligne”, notifications de lecture : le moindre retard est sujet à questionnement et scénario catastrophe. Il est urgent de faire à nouveau de l’attente un espace positif. Par exemple, au lieu de passer des heures à vous demander pourquoi iel ne répond pas, demandez-vous plutôt si la réponse vous intéresse tant que ça. Et si vous avez vraiment un coup de chaud, dites-vous qu’on attendait une réponse courrier par pigeon voyageur ou par char pendant plusieurs jours. Un bon moyen d’éviter les textos bourré·e à 3H du mat.

 

 

Signes = texto

 

La puissance de l’Imaginaire est immédiate [...]. Je me mets à alterner interminablement le bon et le mauvais signe. [...] À celui qui veut la vérité, il n’est jamais répondu que par des images ambiguës, flottantes.

 

Et oui, parce que maintenant qu’iel a répondu, encore faut-il déchiffrer la fameuse pierre de Rosette. De façon plus ou moins inconsciente, on passe notre temps à essayer de déchiffrer dans le discours de l’autre un indice, une réponse, une confirmation de son intérêt. Habitude encore plus perverse en communicant par texto, avec échanges en minimum de caractères et emoji wtf. Alors on décortique, on interprète, on partage à toustes nos potes qui élaborent 36 thèses à partir d’un sms en moins de caractères.

 

Or, si on a tendance à établir notre propre vérité, Roland Barthes rappelle que les signes ne constituent pas des preuves, puisque n’importe qui peut en produire de faux ou ambigus. Alors non, cet emoji clin d'œil n’est pas forcément synonyme de message codé.

 

Seul ce qui est dit peut être tenu pour vrai. D’où l’importance des déclarations. “Pour qu’une chose soit sue, il faut qu’elle soit dite”. C’est clair et net, go déclarer sa flamme.

 

 

Images = Instagram

 

Les blessures les plus vives viennent davantage de ce que l’on voit que ce qu’on l’on sait”.

 

Dans le champ amoureux, l’image est péremptoire, cad qu’elle apparaît comme une information indéniable, complète, fiable, alors qu’elle est en fait tout le contraire. Partielle et suggestive, l’image sert de biais de confirmation à nos pensées.

 

Le problème is : “L’image, c’est ce dont je suis exclu·e”. Comme on le disait plus haut - l’état amoureux nous pousse à chercher des signes partout - et en particulier sur Instagram, où les images sont surtout là pour faire passer un message. Avouons-le : quand on poste une photo d’une soirée, c’est rarement par excès d’esthétisme d’une moitié de bol de chips sur une vieille table Ikea.

 

Si le sujet peut être inoffensif, il devient toxique quand, fragilisés, les images nous rendent obsessionnel·les, incapables de faire la diff avec la réalité. Exemple au hasard : après une séparation, c’est clairement une fausse bonne idée de continuer à suivre votre ex sur les réseaux sociaux (oui, même si vous êtes “en bons termes”). Vous verrez, c’est beaucoup plus facile de laisser place à un nouvel horizon quand iel n’est pas dans le paysage.


Léa Gueydan