L’ère des situationships

 

En 2023, exit le couple : tout le monde date librement et prend son temps pour se lancer dans une relation. Le concept ? On rencontre quelqu’un, on se plait et on se met d’accord sur le fait que personne n’a envie de s’engager et qu’on peut simplement se voir de temps en temps (ou même, ne pas se revoir du tout). Héritage direct de la libération sexuelle des années 70 et de l’accès à la contraception, le casual sex est aussi une façon pour les femmes d’exercer pleinement leur indépendance en séparant amour et sexe.

 

« J’avais juste envie de coucher avec des gens et je n’avais pas envie d’attendre que quelqu’un m’intéresse amoureusement » analyse ainsi Lou, 26 ans, tandis que Charlotte, 25 ans, explique qu’elle aime rencontrer de nouvelles personnes, s’amuser et que cette pratique correspond mieux à son mode de vie. Bref, plutôt que de foncer dans le tas avec un toxic boy, les jeunes femmes sont de plus en plus nombreuses à affirmer leurs envies de liberté sexuelle, soit en renonçant à avoir un seul partenaire, soit en ne s’investissant plus dans des relations au sens traditionnel du terme.

 

 

Quand casual sex est tout sauf casual

 

Malgré tout, le casual sex peine à offrir aux jeunes femmes (hétérosexuelles) la liberté à laquelle elles aspirent. Alors que beaucoup se tournent vers cette pratique pour éviter le drama généralement associé aux relations, force est de constater que le sexe sans attache est parfois plus compliqué que le couple, en raison des incertitudes qui l’accompagnent.

Alors que le casual sex est censé reposer sur le consentement des deux partenaires, bien souvent, comme le constate la sociologue Eva Illouz dans son livre Pourquoi l’amour fait mal ? “la possibilité même d’établir un contrat fait défaut”. Il en résulte un manque d’empathie et une impossibilité à se montrer vulnérable qui font aussi barrage au respect mutuel. « J’ai vu un mec qui passait son temps à me mettre des vents de plusieurs semaines, avec des “j’ai envie de toi” ponctuels » se rappelle par exemple Nour, 27 ans.

 

Charlotte se rappelle de certains mecs “obsédés du sexe, capables de ne parler que de ça” et qui l’ont maltraitée “moralement et verbalement”. Lou remarque que ses deux agressions sexuelles ont eu lieu dans le cadre du casual sex. « Tu te permets des choses qui ne sont pas ok » résume-t-elle. « Je ne sais pas si ces personnes auraient eu ce comportement en couple ». Ghosting, mauvaise communication voire violences… Très souvent, la désinvolture associée à la pratique du casual sex devient en fait la porte ouverte aux mauvais traitements, sous prétexte qu’on ne se doit rien.

Dans ce cadre, dur de garder le moral. « Je me sentais usée, fatiguée, comme si je souffrais d’un burn-out émotionnel » écrit ainsi la journaliste Judith Duportail dans son livre Dating Fatigue, où elle documente la dévalorisation de soi associés au casual sex hétéro… qui pèse souvent bien plus sur les femmes que sur les hommes.

 

 

Le nouveau terrain de domination des hommes

 

Pourquoi le casual sex se pratique-t-il si souvent au détriment des femmes, qui, pourtant, ont très envie de cette liberté sexuelle ? Selon Eva Illouz, ce serait parce que l’amour et le sexe, sous l’influence du capitalisme, sont devenus des marchés comme les autres. Soumis à des lois d’offre et de demande, ils font l’objet de transactions face auxquelles nous ne sommes pas tous.tes égaux·ales… Et, comme partout ailleurs, ce sont les femmes qui se retrouvent en position de dominées. Les raisons de ce désavantage ? La masculinité, qui autrefois se caractérisait par la capacité à s’engager, repose aujourd’hui plutôt sur le fait d’accumuler des partenaires.

 

« Les hommes ont transféré sur le sexe (...) le contrôle qu’ils avaient jusque là exercé au sein du foyer, et la sexualité [est devenue] le domaine où ils [peuvent] exprimer leur autorité et leur autonomie » écrit Eva Illouz. Pour l’illustratrice Liv Strömquist, qui s’intéresse au sujet dans sa BD La rose la plus rouge s’épanouit, cette autorité se traduit très concrètement par la façon dont les hommes cherchent à dicter les conditions de leurs relations en maintenant les femmes à distance. « C’est comme s’ils cherchaient à garder un pouvoir sur moi, alors qu’on est là pour passer un moment sympa ensemble » analyse Lou.

Le casual sex ne remplit donc pas les mêmes fonctions pour les femmes que pour les hommes : aux envies de liberté et d’émancipation féminines répondrait une volonté (inconsciente, mais quand même) de contrôle et de domination masculine. A une époque où le droit des femmes continue de gagner du terrain au travail ou dans le couple hétérosexuel, le sexe libre serait-il l’un des derniers endroits où les hommes peuvent encore maltraiter ouvertement les femmes ?

 

 

Exit la cool girl : et si on réinventait le casual sex ?

 

Les clichés sur la femme castratrice qui chercherait absolument à emprisonner les hommes ont la vie dure, et servent bien souvent d’explication hâtive à la souffrance féminine face au casual sex. Pourtant, les femmes ont tout autant envie que les hommes de sexe fun et sans prise de tête. Comment faire, dans ce cas, pour éviter d’y laisser sa santé mentale et son estime de soi ? En se rappelant, dans un premier temps, que le casual sex pâtit du patriarcat comme tous les autres aspects de nos vies, et qu’il est donc à déconstruire.

La liberté, écrit Eva Illouz, ne doit pas faire oublier l’existence d’autres valeurs comme la solidarité ou la dignité humaine, et ne doit pas forcément devenir le but ultime de nos vies. Ou comme le résume Judith Duportail : « La liberté, c’est à la fois une chance et un risque. Car sans intention, sans conscience et sans effort collectif, elle se transforme en loi de la jungle ». Coucher ensemble sans tomber amoureux, oui, mais pas forcément sans rien se promettre : pour être bien vécu par tout le monde, le casual sex doit reposer sur l’écoute, la communication et l’envie de bien traiter la personne en face de nous, plutôt que de la considérer comme une marchandise interchangeable qu’on pourra de toutes façons remplacer en un swipe.

 

Et pas question que ce travail de réflexion pèse uniquement sur les femmes ! Réaffirmer l’importance du respect, c’est aussi en finir avec le mythe masculin de la cool girl qui n’a jamais aucune exigence, et mettre les mecs face à leurs responsabilités. Et si on (ré)apprenait à se respecter ?


Lena Haque