Historiquement, une évolution liée à l’émancipation

« Pour la première fois sur un tapis: mes cheveux naturels » avait lâché Léna Situations sur Insta. En direct de Cannes l’année dernière, l’influenceuse a monté les marches avec ses cheveux frisés au naturel. Ça semble être une quote quelconque mais Léna nous rappelle avec cette phrase les difficultés, encore aujourd’hui, pour une femme racisée de porter fièrement ses cheveux naturels.
 

@lenasituations

 

Un phénomène que la journaliste Aurélie Louchart explique dans son ouvrage Trop crépues ? (2019, éditions Hikari) : « Aux 17e et 18e siècles, en pleine période de commerce triangulaire, les scientifiques se basent sur la couleur de peau, mais également sur les cheveux, la taille du crâne et la forme du nez pour circonscrire les races puis les hiérarchiser ». La série passionnante « D’où viennent les races ? » de France Culture revient en détails sur cette partie sombre de notre Histoire commune. De cet héritage raciste sont nés, notamment, la course au défrisage pour les cheveux crépus mais aussi l’utilisation de produits dangereux pour le blanchiment de peau ou encore le débridage des yeux.
 

Au musée des Arts Décoratifs à Paris, l’exposition « Des cheveux et des poils » retrace l’évolution historique et politique des coupes de cheveux, en expliquant notamment qu' « au Moyen Âge, obéissant au commandement de Saint Paul, le port du voile s’impose aux femmes jusqu’au 15e siècle. Peu à peu, elles l’abandonnent au profit de coiffures extravagantes sans cesse renouvelées. ». Chez les femmes, plus que chez les hommes, les corps sont policés et leur coiffure n’échappe pas à la règle. Elle permet d’identifier et catégoriser la classe sociale d’une femme, sa vertu et donc sa valeur (CQFD). En ne respectant pas les règles tacites de leur groupe, elles se mettent en danger et sont jugées sociétalement par ce biais. (Ça vous parle à vous aussi ?).
 

@isabelleikpeme

 

Un style qui bouge sans cesse

En 2023, si les femmes occidentales ont conquis le droit de se pimper à peu près comme elles le souhaitent, la coiffure reste marquée par des tendances qui vont et viennent au fil des années. Miléna, coiffeur depuis la fin des années 2000, constate une vraie évolution en quinze ans : « Ce dont je me souviens le plus, c’est l’arrivée du lisseur, avec la mode du cheveu ultra raidi, le plus plat possible, accompagné de coupes très effilées. »
 

Cette tendance qui impacte également les cheveux frisés et crépus, déjà historiquement contraints de se défriser, commence aujourd’hui à décliner. D’après Aurélie Louchart « en France, une large majorité de femmes étaient défrisées en 2005, contre 46% en 2010, 40% en 2012 et 32% en 2017 ». Une évolution qui peut s’expliquer par une prise de conscience des effets néfastes du défrisage sur les cheveux et une réaffirmation politique des beautés noires.
 

Côté couleurs, l’exposition « Des cheveux et des poils » nous rappelle à quel point elles ont pu être associées à des clichés qui ont la peau dure : « Le blond est la couleur des femmes et de l’enfance. Le roux est attribué aux femmes sulfureuses, aux sorcières et à quelques célèbres femmes de scène. Quant aux cheveux noirs, ils trahiraient le tempérament bien trempé des brunes. ».
 


Une affirmation communautaire

Alors que les femmes iraniennes ont secoué la planète en utilisant leur chevelure comme outil de désobéissance civile, cette actualité brûlante nous rappelle en quoi les cheveux restent un symbole politique pour les femmes et les minorités. Au même titre que le droit de se vêtir comme on le souhaite, pouvoir disposer librement de ses cheveux relève d’une affirmation de son identité et donc de son appartenance communautaire.
 

D’après Miléna, coiffeur auprès des minorités queer « Il y a une nécessité pour beaucoup de pouvoir se reconnaître et être perçu·e·s comme te·le·ls dans l’espace public, avec l’idée de faire corps, de construire une culture commune. Par exemple, pour les personnes trans masculines, se couper les cheveux, ou se les raser relève du vrai rite de passage, du coming-out. ».
 

Pour les personnes afro-descendantes, se tresser les cheveux comme on le souhaite ou porter ses cheveux au naturel relève tout autant de la réappropriation de son corps que de la lutte contre le fétichisme raciste. En attendant de sortir complètement des diktats patriarcaux et racistes, que vivent les coupes courtes, colorées, chelous, mal peignées, tressées ou rasées ! Après pour ce qui est des trauma bangs… vous savez ce qu’on en pense.
 





Hanneli Victoire