Dans ton livre, tu cites une amie à toi qui explique qu’elle ne se maquille jamais les yeux et la bouche en même temps si elle veut plaire aux hommes car ça leur ferait beaucoup trop peur. Pourquoi ?

 

Je pense que ça renvoie à l’idée de la dose et de la norme. On exige des femmes qu’elles soient toujours maquillées, tout le temps, mais pas trop… Si tu te maquilles trop, ça voudrait dire que tu cherches forcément quelque chose de ton interlocuteur et ça suscite de la méfiance. Donc, ça rejoint un peu cette pensée très ancienne du maquillage-tromperie où l’homme serait le dindon de la farce.

 

 

À un moment donné, tu dis que, pour les femmes transgenre, le make-up est un enjeu de passing très important.

 

Oui, je parle d’une étude qui a été menée et les femmes transgenre qui prennent la parole dedans racontent que, pour elles, le maquillage est une façon de ressembler à ce qu’elles désirent, de prendre possession de leur visage.
 

@eve_meydina

Mais c’est aussi déterminée par le fait de ressembler le plus possible à une femme cisgenre. Et ça, c’est causé par la transphobie. Certaines d’entre elles le regrettent car ça voudrait dire qu’il n’y a qu’une seule façon de s’approprier son identité.

 

 

Le glow, la wellness et le selfcare sont très en vogue. Tu parles NOTAMMENT d’Hailey Bieber qui en est l’ambassadrice. POURQUOI LA RECHERCHE DU GLOW PEUT AGACER ?  

 

La recherche du glow, c’est montrer qu’on a optimisé sa santé. L’accès aux soins et le droit au repos sont des enjeux qui vont au-delà du fait de boire des jus verts, faire du yoga ou méditer. Je pense que c’est pour ça qu’on ressent un agacement quand ces codes esthétiques sont érigés en modèle par une classe sociale aisée, dont on imagine qu’elle est très éloignée de ces problématiques.
 

@haileybieber

Tout le monde n’a pas le temps, l’argent, l’énergie à consacrer à sa santé, à faire du sport ou à se reposer… Finalement, tout ça, c’est mis en scène comme quelque chose que chacun devrait faire. On individualise des problèmes qui devraient être, selon moi, traités sous l’angle collectif.

 

 

Tu montres aussi que les faux ongles et les faux cils sont mal perçus lorsqu’une femme noire les porte mais deviennent stylés et underground quand une star blanche ou une marque de luxe se les réapproprie.

 

Les faux ongles sont un marqueur fort de la culture noire américaine et jusqu’à très récemment, ils étaient synonyme de vulgarité. C’est lié à un contexte raciste qui sexualise constamment les femmes racisées. Quand des stars blanches de la pop se sont mis à en porter, petit à petit, c’est devenu très cool : on les a vu dans les séries mode, dans les magazines, un peu partout. Pour les faux cils, c’est pareil.

 

Certains instituts américains montrent des femmes racisées porter des longs faux cils et ça crée pas mal de commentaires méprisants du type : « Pourquoi tu mets ça, tu vas plus pouvoir rien faire ! ». Ce qui, en plus, est faux. Au-delà du « ça à l’air naturel » ou « ça n’a pas l’air naturel », il y a la question de « Pourquoi tu fais le choix de porter quelque chose qui baisse ta productivité ».
 

@iamcardib

Pourquoi, quand on pense aux hommes qui se maquillent, on glorifie Harry Styles alors que d’autres artistes font pareil ? Je pense par exemple à Sam Smith qui s’est pris plein d’insultes grossophobes et homophobes après la sortie de son clip « I’m Not Here To Make Friends » dans lequel il porte des bijoux, du make-up, des robes, etc.

 

Ce qui est intéressant avec Harry Styles, c’est qu’il vend du make-up, il vend et met du vernis mais il se maquille peu. Après, la différence entre les deux, bien-sûr, c’est qu’Harry Styles refuse de parler de son orientation sexuelle. C’est pour ça qu’il est souvent accusé de queerbaiting [appropriation des codes queer]. On le glorifie parce qu’il entretient un flou, parce qu’il est très lisse, jeune, beau, valide, mince, riche et célèbre…

 

Donc il peut s’approprier tous les codes qu’il veut sans risquer pour sa vie ou pour sa santé… Et faire beaucoup d’argent avec ça.

 

 

L’industrie cosmétique peut-elle être inclusive et écolo alors qu’elle fonctionne sur la surconsommation, que ses équipes sont peu mixtes et ses travailleur·euses précaires ? Tu cites comme exemple les femmes d’Afrique de l’Ouest qui récoltent le karité et ne gagnent que 62 € par an.

 

On va d’abord parler de la durabilité. Ce que raconte l’industrie, c’est qu’elle fait des efforts c’est-à-dire qu’elle fait des trucs et communique dessus. Mais une fois qu’on a dit ça, on n’a pas dit grand-chose. Et pour le moment, on n’a pas vraiment de barème durable qui serait indépendant. Après, on peut se dire raisonnablement que si on parle de durabilité, il va falloir qu’on change la façon dont on consomme. Et je pense qu’on surconsomme toustes la beauté.
 

@kimkardashian

En ce qui concerne l’inclusivité, c’est vrai qu’on se rend compte qu’elle est guidée par le fait de cocher des cases en représentant des populations diverses dans les campagnes de pub. Au sein du milieu, on voit que ça change plus lentement. Il y a 7 ans, les experts étaient assez pessimistes, pensaient que ça n’allait être cool qu’une saison. Aujourd’hui, les réseaux sociaux font quand même office de chiens de garde. On peut donc imaginer que l’ouverture vers plus d’inclusivité dans l’industrie de la beauté a été enclenché et ne va pas se refermer. En fait, l’industrie, elle bouge à partir du moment où les consommateurs lui disent de bouger.

 

« Make-up, le maquillage mis à nu » de Valentine Pétry, publié le 3 mars 2023 aux éditions Les Pérégrines, 19 €.


Marthe Chalard-Malgorn