Un roman à la mitraillette sur les violences sexuelles et la reconstruction

 

Quand on commence à lire De mon plein gré, on est tout de suite happées par la plume de Mathilde Forget. Une plume secouée, nerveuse et étouffante. Une plume qui sème le doute, la honte et la culpabilité à chaque coin du livre - comme autant d’émotions chahutées qui peuvent se bousculer dans la tête d’une victime de violences sexuelles.

 

Le roman s’ouvre quand la narratrice de ce livre pousse la porte du commissariat, un matin. Elle squatte le couloir, en attendant qu’on s’occupe d’elle. Puis, les questions, demandes et affirmations du “Major” de Police s’enchaînent, comme une litanie oppressante : “Bon, on va tout reprendre depuis le début”, “S’il avait sa main dans votre bouche, il ne vous tenait pas”, “Vous portiez quoi hier soir ?”.

 

Directement inspiré de la vie de l’autrice, ce roman raconte l’aberration et la cinglante réalité des moments que peuvent passer tant de victimes de violences sexuelles quand elles veulent porter plainte. On assomme la narratrice de questions, légitimes ou suspicieuses, pour reconstituer l’agression. À elle de prouver qu’elle est saine d’esprit et non-coupable, après des interrogatoires avec le Major, ou encore une psychiatre - qui doit “vérifier qu’elle n’est pas déviante”. On doute de ses paroles, de son récit, de ses souvenirs (et elle-même en doute, cimer la violence du choc et du trauma). À tel point qu’on finit par se demander : qui, de la victime ou de l’agresseur, est le véritable coupable ?

Comme une gifle, on comprend soudain l’ampleur de l’expression : tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous. De quoi raconter la peur fréquente de paraître coupable de l’agression qu’on a subie, dans une société et un monde qui n’accorde pas de crédit aux paroles des femmes - ici, dans une explosion de sexisme et d’homophobie “ordinaires”.

 

Il faut lire entre les lignes. Entre les répétitions, les obsessions du personnage du livre, ses pensées qui s’entrechoquent violemment, dans un tourbillon de stress, de peurs, de souvenirs ravalés, d’appréhension. Il faut se souvenir que si la narratrice a poussé la porte de ce commissariat de son plein gré, il en faudra beaucoup plus pour que son témoignage soit “crédible”, et pas classé sans suite. Et beaucoup plus encore pour panser les plaies et se reconstruire après le trauma, puisque, comme le fait dire l’autrice à son personnage : ”Le corps est un lieu qu’on ne quitte jamais. Je peux quitter une ville, un pays, une personne, m’en éloigner au moins. Mais lorsque l'événement a lieu dans le corps, en son creux, au fond du ventre, on est condamné à vivre avec.

 

Vivre avec, oui. Mais pas silencieusement, et pas seul·e. En tout cas, beaucoup moins, une fois qu’on a ouvert ce livre. <3

 

De mon plein gré, un roman de Mathilde Forget, à découvrir aux éditions Grasset, 135 pages, 15€.

Un ouvrage collectif sur la sororité comme un shot d’amour et d’idées pour lutter

 

Qui de mieux que Chloé Delaume, papesse et queen en cheffe du sisterhood, pour porter cet ouvrage collectif aussi disruptif que brillant sur la sororité ? On vous le demande. Peut-être Kiyémis, Alice Coffin, ou Lauren Bastide ? Ça tombe bien, vous retrouverez leurs textes dedans. Non, vraiment, on dirait que ce livre a été pensé et créé expressément pour nous faire kiffer. Pari tenu et gagné !

 

Si ce livre réunit autant de témoignages et de textes, tous plus puissants les uns que les autres, c’est parce qu’il y a beaucoup plus qu’une seule manière de définir et de parler de la sororité : il y a celle qu’on découvre avec ses sœurs de sang, comme dans le texte de Maboula Soumahoro. Il y a celle que l’on trouve dans la lutte anti-patriarcale, comme dans le texte de Lola Lafon. Il y a celle pour laquelle on se bat, pour foutre les guerres intestines au placard, et pour éviter de critiquer ses collègues femmes au travail, comme dans le texte d’Estelle Sarah-Bulle.

 

Il y a aussi celle qui mute et se transforme en adelphité, pour dire que nos luttes sont celles de toutes les femmes, mais aussi celles de nos adelphes trans, non-binaires, bref : pour éviter de s’enfermer dans une sororité toxique qui friserait la fraternité (dans tout ce qu’elle a de plus excluant), comme dans le texte de Lauren Bastide.

 

Bref : chacun·e d’entre nous a son histoire, sa manière de raconter, d’espérer, de définir et de lutter pour la sororité. On peut la ressentir avec sa BFF, avec sa sœur de cœur, avec cette meuf qui nous a filé un tampon dans les toilettes d’un bar.

 

La sororité est partout, elle nous fait vibrer tout le temps. Elle donne à nos luttes l’élan, le care, le cadre et l’amour dont nous avons besoin, tout particulièrement dans ce monde violent et oppressif. La sororité est une arme révolutionnaire simple, mais définitivement massive. Comme ce livre qui se dévore et qu’on relira plus d’une fois dans notre vie.

 

 

Sororité, un ouvrage collectif porté par Chloé Delaume, à découvrir aux éditions Points, 192 pages, 6,70€.

Le roman incisif et génial que vous cherchiez pour faire le point sur votre vie (pro)

 

Alice. Françoise. Myriam. Laura. Voilà les prénoms de vos futures meilleures potes de papier - celles dont vous vous sentirez proches, auxquelles vous ne pourrez sans doute pas vous empêcher de vous identifier à toutes les pages. Et à raison : Alice est en burn-out, et vient de quitter son taf après avoir couché avec un de ses (gros c**) de collègues. Aussi hypersensible qu’hyperbrillante, elle jongle entre ses émotions qui la dépassent et son cerveau qui va à dix mille à l’heure.

 

De son côté, Françoise a squatté les bancs des écoles d’informatique, habituée à se faire discrète dans les milieux masculins. C’est une nerd de génie, mais surtout une meuf qui aime les meufs, et qui n’a pas encore fait son coming-out.

 

Myriam, elle, est une énervée de la Twittosphère, suivie par des milliers d’abonnés. Peut-être même une énervée tout court, en fait. Elle jongle entre envie de niquer le patriarcat, et envie de niquer tout court (coucou les problématiques hétérosexuelles). Et puis ça lui prend un temps fou, d’accepter que sa sœur Aïcha ait décidé de prendre le voile, mais que… bah ça ne change rien entre elles en fait.

 

Enfin, Laura doit vivre avec la perspective de la mort imminente de sa mère, qui est atteinte d’un cancer très grave. Entre autodérision, fierté et craquage, elle tente de tenir bon et de garder la tête haute pour continuer à avancer.

Toutes les 4 ensemble, elles vont monter une start-up : Rules - une application qui sert à se repérer sur son cycle menstruel. Mais évidemment, rien ne va se passer comme prévu - la faute au patriarcat le plus souvent. Comment ça, des meufs qui montent une start-up entre elles ? Comment ça, vous voulez parler de vos règles au grand public ? Comment ça, c’est une application pour toutes les personnes menstruées ?

 

Slalomant entre des enjeux sociétaux majeurs comme la place (invisibilisée) des femmes dans le secteur du numérique, le harcèlement en ligne des militantes féministes, l’importance de la sororité, ou encore l’univers impitoyable de la start-up nation - le premier roman de Lucie Ronfaut-Hazard brosse un portrait grandeur nature à cette génération de meufs (coucou) prêtes à en découdre; et que ni le monde professionnel, ni le monde tout court n’épargnent.

 

De quoi raconter concrètement la réalité et les difficultés qui s’imposent quand on veut lancer son projet. De quoi nous dire aussi qu’il faut lutter, tout le temps, travailler plus encore pour y arriver. De quoi nous rappeler aussi (et surtout) qu’on n’est loin d’être seules, et qu’au final, une fois n’est pas coutume, sororité vaincra.

 

Les Règles du Jeu, un (premier) roman de Lucie Ronfaut-Hazard, à paraître aux éditions La Ville Brûle le 30/04/2021, 227 pages, 17€.

Le recueil d’entretiens tiré de La Poudre, pour trouver ses nouvelles mentor

 

Depuis l’explosion du mouvement #Metoo en novembre 2017, le cinéma est pris au cœur de luttes et d’enjeux sociétaux majeurs. Il dénonce son entre-soi blanc et bourgeois, sous la verve d’Aïssa Maïga. Il explose l’omerta qui règne sur le sujet des violences sexistes et sexuelles dans ce milieu, sous les mots en colère d’Adèle Haenel. Il permet, des États-Unis à la France, à des centaines de milliers de femmes de dire : moi aussi.

Bref : le cinéma est un miroir de notre société. Déformant, fictionnel, politique - parfois même utopique. Et c’est à travers les combats et les voix des femmes et hommes qui le portent, le réinventent, et le critiquent que Lauren Bastide choisit de le raconter - en publiant le Tome 2 de La Poudre, adaptation livresque de son (génial) podcast éponyme (on vous parlait déjà du Tome 1 par ici !).

 

17 entretiens, réalisés entre 2016 et 2020. 17 entretiens rangés par ordre chronologique, pour mieux comprendre encore l’évolution de ces enjeux dans le temps, de #Metoo à la tribune de Deneuve, en passant le “On se lève et on se casse” de Despentes. On retrouve les mots et la pensée afroféministe d’Amandine Gay, qui fout un coup de pied dans la fourmillière du cinéma blanc. On apprend aux côtés d’Ovidie, rebatteuse en cheffe des cartes de l’industrie pornographique. On déconstruit la cis-hétéro-norme du cinéma avec Océan, comédien et réalisateur trans.

 

Une lecture passionnante et foisonnante à s’envoyer entretien par entretien, le matin, le soir, sur la pause déj ou à la sieste. Avec curiosité et gourmandise pour ce livre généreux qui n’en finit jamais de dessiner les contours du cinéma et du monde de demain.

 

La Poudre, Tome 2, Féminismes & Cinéma, un ouvrage adapté du podcast éponyme de Lauren Bastide, à paraître aux éditions Marabout le 19/05, 500 pages, 22,90€.

Le recueil de témoignages qui va vous foutre le seum et la pêche

 

Ce sont des petites phrases. Qui semblent anodines. Ordinaires. Ridicules, même, souvent, pour ceux qui les prononcent. Des “petites phrases” violentes, au potentiel dévastateur, pourtant. Des phrases qui cristallisent les injonctions qui pèsent sur nos corps, sur nos vies - qui racontent le cassage de gueule organisé de la construction sociale de genre.

 

Ouais parce qu’une fille c’est doux, et ça sent bon, alors pourquoi tu ne t'épiles pas ? Oh et puis celle-là, si elle s’est faite agresser, c’est qu’elle l’avait bien cherché, t’as vu comment elle s’habille ? (...)

 

On vous épargne les autres exemples, vous n’en avez pas besoin : vous en avez sans doute soupé et bouffé toute votre vie, de ce genre de remarques assassines.

C’est précisément pour dire stop et pour dire que cette violence n’a rien de banal, que le compte @dans_la_bouche_dune_fille a vu le jour sur Insta. Un compte qui recense au quotidien des témoignages de meufs qui en ont plus qu’assez qu’on s’octroie un droit de regard, d’opinion, de véto sur leur corps, leur sexualités et ce qu’elles en font. 2021 oblige, ce compte Insta vient de se transformer en un livre, et on est bien contentes : il se lit d’une traite (même si il faut parfois faire des pauses pour s’énerver un coup), comme un flot et un flux de paroles révoltées, sortant tout droit de la bouche de celles qui ont toutes les raisons de l’être.

 

Kickant sec les expressions les plus fameuses de l’ordre hétéro-patriarcal, type : “il faut souffrir pour être belle” (dont on vous parlait déjà ici), ou encore “seul un homme peut faire jouir une femme” (lol), ses autrices signent un livre comme un manifeste, à mettre entre les mains de toutes celleux qui auraient besoin de ne pas se sentir seul·es (coucou vous), ou de se souvenir de ce que sont des violences systémiques (coucou les darons).

 

Dans la bouche d'une fille, un livre d'Astrid Toulon, Enissa Bergevin et Valérie Thierry, à découvrir aux éditions Albin Michel, 216 pages, 14,90€