En 2021, Billie Eilish fait la couverture du British Vogue, où elle porte un corset rose poudré en hommage à l’âge d’or hollywoodien. La chanteuse, qui a habitué ses fans à des looks baggy extra larges pour éviter la sexualisation et le body-shaming, s’attire les foudres de son public. On lui reproche de se conformer à ce qui est attendu des femmes, c’est-à-dire d’être réduites à des objets sexuels et désirables.
 


Elle perd des milliers de followers et connaît un backlash sans précédent en ligne. Malgré la citation en couverture, qui dit “ce qui compte, c'est ce qui vous fait vous sentir bien”, on lui refuse la possibilité d’avoir voulu et choisi cette tenue. Comme si c’était impossible pour une femme d’être à la fois objet de désir et sujet désirant.

 

 

Des carcans de tissu

 

Porté pendant plus de 400 ans par les femmes occidentales, le corset apparaît d’abord au XVe siècle sous la forme d’un corsage rigide fait d’arêtes et de lacets. Difficile à mettre et douloureux à porter, il sculpte - littéralement - la silhouette féminine en sablier. Au-delà de l’apparence, plusieurs historiennes féministes citées dans dans Encyclopedia of Clothing and Fashion de Valerie Steele, ont argumenté que le corset fonctionnait comme un outil coercitif, à travers lequel la société patriarcale pouvait contrôler le corps des femmes et exploiter leur sexualité.
 


Il connaît de nombreuses évolutions stylistiques en fonction des standards de beauté propres à chaque époque, jusqu’au XIXe siècle, où la production s’industrialise et l’élastique fait son apparition, ce qui permet de concevoir des modèles plus souples et accessibles aux classes populaires.

 

Peu à peu, le corset est remplacé par le soutien-gorge, qui suit une trajectoire similaire, s’adaptant aux tendances et aux diktats de la décennie en cours. Pour la philosophe féministe Camille Froideveaux-Mettrie, auteure de Seins. En quête d’une libération, le port du premier soutien-gorge serait au moins aussi important symboliquement que l’apparition des seins chez une jeune femme. Porter un soutien-gorge serait le signe d’une féminité naissante. Et si tout ça ne sonne pas très progressiste, le retour du corset va venir bousculer nos à priori.

 

 

Du corset subversif au corset 2.0

 

Après avoir été synonyme d’oppression, le corset est devenu synonyme de sexualité, notamment par sa présence dans l’imagerie burlesque et érotique. À la fin des années 70, les femmes du mouvement punk se réapproprient cette imagerie et remettent les corsets au devant de la scène, les portant comme des vêtements et non plus comme des sous-vêtements. Cette fois, le fait de porter un corset n’est plus imposé par la société, c’est un choix purement subversif.
 

Défilé Vivian Westwood Automne 1990

 

Très influencée par le mouvement punk, la créatrice Vivienne Westwood incorpore le corset dans ses collections à partir des années 80. Elle le déleste de son inconfort pour qu’il ne soit plus symbole de contrainte mais de liberté. Adoptant la même démarche, Jean-Paul Gaultier habille Madonna d’un corset (i)conique en satin rose pour sa tournée Blond Ambition Tour en 1991. Suivi par Thierry Mugler, Stella McCartney, Azzedine Alaïa ou Yves Saint-Laurent - pour ne citer qu’elleux - les créateur·ices repensent le corset pour lui offrir une nouvelle histoire.
 

Défilé Azzedine Alaïa Printemps 1992

 

 

Une nouvelle expression de soi

 

Et alors qu’on pensait avoir tout vu du corset, le voilà qui fait son grand retour sur nos écrans. On le retrouve dans les séries du moment, ambiance regency core pour Bridgerton ou Y2K pour Euphoria. Mais aussi sur Instagram, où de nombreuses marques en ont fait leur pièce phare. On pense par exemple à Miaou, LA marque favorite des it-girls, dont les corsets sont portés par Billie Eilish ou Paloma Elsesser. La créatrice et designer de la marque, Alexia Elkaim, a confié au New York Times que selon elle, le corset serait “flatteur pour toutes les morphologies”. On ne peut qu’approuver cette version du corset 2.0, éthique et inclusive.
 

Corset Miaou

 

Comme l’observe le magazine Hype Bae, l’idée qu’il faut “souffrir pour être belle” est datée et la tendance actuelle du corset serait révélatrice d’une nouvelle forme d’expression de soi à travers laquelle les femmes affirment leur droit de porter ce qu’elles veulent et de libérer visuellement leur sexualité, dans la mouvance de la lingerie portée de jour (coucou les nuisettes en satin et les bralettes par-dessus un tee blanc).

 

On peut bien sûr continuer à se demander si cette réappropriation “choisie” n’est pas une conséquence de l’intériorisation des diktats encore et toujours imposés au corps des femmes - notamment quand elle est en top trend sur les réseaux sociaux, aka le royaume de l’image de soi et de la comparaison - puisque le corset affine la taille et remonte la poitrine.
 

Barbie Ferreira pour Who What Wear

 

Mais une fois libéré de sa rigidité, le corset est devenu une pièce avec laquelle il est possible de jouer et déjouer les codes de la féminité. Donc plutôt que de bâcher Billie Eilish, respectons le terrain d’expression de chacun·e, et en attendant, continuons de lutter contre les diktats pour que les choix vestimentaires des femmes cessent d’être sujet à débat.

 

Justine Sebbag