À tout juste 40 ans, la doyenne des influenceuses avait presque disparu des radars médiatiques, sans qu’on ne parvienne pourtant à l’oublier tout à fait. D’elle, on garde en mémoire une caricature de Barbie américaine que toutes les adolescentes voulaient imiter il y a déjà 20 ans (nous compris) : lunettes strassées, chevelure blonde incandescente, chihuahua porté sous le bras comme un accessoire… Et sa voix, nasillarde.

On conviendra qu’il est difficile de se défaire de cette image un brin superficielle, pourtant construite de toutes pièces par Miss Hilton. Elle incarnait le cool à l’état pur from Los Angeles et son influence stylistique se fait encore ressentir aujourd’hui. C’est elle qui a participé aux succès des joggings en éponge strassés Juicy Couture et des casquettes Von Dutch. À chacune de ses apparitions, elle s’est fait le porte-drapeau du jean taille basse, des strass à outrance, du gloss, des crop tops. Autant de marqueurs de style qui sont entrés au panthéon de la pop culture et signent l’allure années 2000, inspirant aujourd’hui encore un paquet de designers.

 


Alors, pourquoi l’annonce de cette collaboration fait autant parler ?

 

Comme le diable qui s'habille en Prada se cache dans les détails, la réponse à cette question se cache peut-être dans le communiqué de presse diffusé par Lanvin. Paris y déclare : « J’ai une vraie admiration pour le travail de Jeanne Lanvin, fondatrice de la marque. Elle a su construire un empire à partir d’un petit magasin qui existe toujours 130 ans plus tard. Son esprit d’entreprise est absolument incroyable. Ça ne vous rappelle pas quelqu’un ? »

La comparaison entre cette pionnière de la mode et Paris, pionnière de la télé-réalité, pourrait sembler, de prime abord, incongrue. Voire même un brin antinomique.

 

Dès 1889, Jeanne Lanvin a naturellement inspiré respect et admiration par son talent de couturière. Paris Hilton en revanche, depuis 2000, subit encore les clichés persistants de son personnage d’héritière-délurée qu’elle s’est créée au tout début de sa carrière et qui lui collent inlassablement à la peau.

 

Pourtant, entre ces deux femmes qu’un siècle sépare, il y a bien un empowerment commun.

 


Comment Paris Hilton est devenue Paris Hilton

 

Nous sommes en 2003, aux origines du monde de la télé-réalité. Paris Hilton, flanquée de son acolyte Nicole Richie, invente le concept le plus bankable de notre époque : « be famous for being famous ». Comprenez : « être célèbre pour être célèbre ». Comprenez : « bâtissez votre empire financier sur votre simple image, soyez une star de télé-réalité. »
 

C’est donc avec l’émission The Simple Life que les deux BFF révolutionnent le petit écran et la pop culture. L’intrigue du programme est basique : Paris et Nicole, deux new-yorkaises « filles de » et richissimes, se font couper les vivres par leur famille. Punies, elles sont envoyées à Althus, une petite ville de 839 âmes, en plein coeur de l’Amérique profonde.
 

Le choc des cultures est rude entre cette Amérique d’en haut et celle d’en bas. L’émission a pour but de rendre cocasse cette rencontre finalement cruelle entre deux jeunes super-méga-riches et la famille ouvrière qui les accueille. C’est un programme de télé-réalité à l’état pur, voyeuriste, mais qui aura aussi mis en lumière les disparités économiques qui gangrènent l’Amérique.

Dans cette famille de classe-moyenne, les deux jeunes femmes aux ongles manucurés découvrent le monde du travail, doivent s’adapter à cette vie à la dure. Bien sûr, elles n’y parviendront jamais.

 

Comme le souligne Cassidy George dans un excellent article d’analyse sociologique : « Paris et Nicole étaient encouragées par les producteurs de l'émission à créer des problèmes au travail dans le but de faire rire le spectateur. (…) Leur manque de respect flagrant et leurs pitreries révèlent un dédain total envers la classe ouvrière américaine, et il s’agit clairement de la raison d’être de l’émission. Le public rit de Paris et de Nicole, mais Paris et Nicole rient des gens d’Althus ».

 

Le scénario de l’émission est efficace, mais monté de toutes pièces pour récolter de l’audimat. La Paris Hilton délurée qui apparaît sur les petits écrans est à mille lieux de la femme d’affaires redoutable qu’elle est en réalité en coulisses. Une femme d’affaires qui a bien vite compris qu’elle pouvait exploiter les codes sexistes et misogynes de la société pour construire une carrière extrêmement rentable.

 


Paris Hilton A-T-ELLE ÉTÉ TROP AVANT-GARDISTE ? 

 

Sous le vernis de ce conte moderne des années 2000 se cache une autre réalité : celle d’une business woman inspirée qui a ouvert la voie aux plus grandes influenceuses (Kim Kardashian, Nabilla, Kim Glow…). Et ce, tout en essuyant les railleries de son époque.

 

C’était bien avant l’ère #MeToo, la vague d’empowerment et l’union de ces femmes puissantes qui élèvent la voix contre le sexisme. Il y a vingt ans, Paris Hilton fut la cible parfaite car solitaire de vagues de slut shaming hyper-violentes, d’une sex-tape diffusée à son insu l’année de ses 23 ans, d’humiliations médiatiques à répétition, de harcèlement ciblé sur sa seule apparence ou ses quelques frasques alcoolisées… La machine médiatique s’est nourrie du bulldozer marketing « Paris Hilton », certains clichés volés de paparazzis pouvaient même se vendre plus d’un million de dollars.

En 2007, le livre Guinness des records la sacre « célébrité la plus surestimée au monde ». La même année, sur le plateau du présentateur David Letterman, elle est méthodiquement humiliée et harcelée de questions quant à son récent passage en prison pour conduite en état d’ivresse. Sous les rires angoissants du public, Paris se décompose. En 2011, elle apparaît au classement des « 100 femmes les plus chaudes du monde » du magazine Men’s Health et un sondage Ipsos la déclare « célébrité la plus impopulaire auprès des américains ».

 

Pourtant elle n’a jamais blâmé ses détracteurs ou exprimé un quelconque mal-être face à ces attaques qui lui étaient adressées. Paris a toujours résisté au feu des critiques.


Car dans le même temps, elle construit méthodiquement son empire financier et multiplie les licences de produits dérivés. Aujourd’hui, elle compte 19 gammes de produits et rien que ses parfums lui ont rapporté près de 3 milliards de dollars à ce jour. Plus malin encore, elle dépose comme marques ses trois expressions favorites ("That’s hot!", "Like it", "Sliving") pour les rentabiliser sur des vêtements, appareils électroniques et boissons alcoolisées. Et ce, bien des années avant que Nabilla ne dépose son célèbre « Non mais, Allô quoi ! ».

 


Paris Hilton, femme d’influence ? Très certainement.

 

Tous réseaux confondus, Paris touche à ce jour plus de 60 millions de fans sur toutes les plateformes. Derniers faits d’armes, elle a aussi lancé son propre podcast « This is Paris » et le documentaire « The Real Story of Paris Hilton », diffusé sur Youtube en 2020, compte plus de 20 millions de vues. Oui, on est bien loin des 13 millions de téléspectateurs des 5 saisons de The Simple Life.


Dans ce documentaire, Paris Hilton se dévoile sans fard (ou presque) et reprend possession de sa voix (grave et posée) pour raconter sa propre histoire. On (re)découvre alors une femme de 40 ans, timide et pétrie d’angoisses, que nous avions quitté à l’aube de la trentaine et qui revient avec lucidité sur ce qu’elle a pu incarner aux yeux du monde.

Elle dit notamment : « Tout le monde pense me connaître car je joue un personnage depuis tant d’années. Je suis tellement habituée à jouer ce personnage que je ne sais plus être naturelle ». Et nous, public, de réaliser que notre regard sur Paris Hilton est surtout pétri de clichés, d’injonctions et de sexisme intériorisé, hérités d’une autre époque.

 

Au point d’oublier presque que, si la société a bien changé en dix ans, Paris Hilton aussi.



La redécouverte d’une icône, avec Lanvin

 

Lundi 15 mars 2021, lorsque Bruno Sialelli, directeur artistique de Lanvin, nous dévoile cette première campagne inédite, on se retrouve un peu bêtes. Oui, bêtes. Car sous nos yeux, Paris Hilton est conquérante, élégante, belle. L’intention du créateur est simple : « Je voulais montrer Paris comme on ne l’avait jamais vue avant. Elle est célèbre pour sa longue chevelure blonde et son style scintillant. Nous voulions mettre en avant sa capacité à se transformer, tel un cygne. (…) Nous avons dépouillé le stylisme et permis à sa beauté naturelle d’être capturée ».

 

Inspirée par les portraits des femmes de la bonne société New Yorkaise des années 50, plus connues sous le nom des « Cygnes », cette campagne interprète l’image des icônes d’aujourd’hui : les influenceuses.

Cette campagne met aussi en lumière la métamorphose de l’influenceuse originelle. La métamorphose, c’est une transformation du réel en une réalité sublimée pour la rendre désirable. Comme une alchimiste, Paris Hilton a ce talent de transformer systématiquement ce qu’elle touche en or. Elle s’adapte à ce que l’époque lui propose en construisant son propre mythe et elle en dicte les codes.

En la choisissant comme nouveau visage de cette grande marque qu’est la maison Lanvin, Bruno Sialleli, sans snobisme ni ironie, rend le premier véritable hommage à cette femme d’influence incontournable, qu’on redécouvre enfin avec tout la bienveillance qu’elle mérite.


 

Louise Des Ligneris