Le 16 mars 1978, un journaliste dépeint dans le Washington Post les difficultés pour les femmes à faire coïncider carrière professionnelle et vie de famille. Il titre son article The Clock Is Ticking for the Career Woman (L’horloge tourne pour la femme carriériste). Il invente dans ce papier le terme “horloge biologique” - euphémisme pour rappeler aux femmes leur date de péremption, aka la ménopause - et explique que dans l’inéquité la plus scientifique qui soit (lol), les hommes n’ont pas à ressentir cette horloge parce qu’elle n’existerait pas pour eux. On sait aujourd’hui que c’est faux.

De la même manière que la qualité de la réserve ovarienne des femmes diminue avec l’âge, la qualité du sperme des hommes se dégrade en vieillissant. Passé 60 ans, c’est même très compliqué pour un homme d’engendrer un embryon qui arrivera à terme, et en bonne santé. Alors pourquoi les hommes ne ressentirait pas cette même pression d’enfanter ? Ce désir irrépressible, ce flippe de louper le coche ? Parce que la pression familiale, la pression nataliste, est depuis toujours mise sur les femmes.

 

Il n’y a aucune preuve scientifique aujourd’hui qui affirme que les femmes ont, quelque part dans leurs chromosomes, un gène qui les pousserait à désirer des enfants. Certain·es tentent de rationaliser cette idée en parlant d’instinct de reproduction… qu’on n’attribue jamais aux hommes. D’ailleurs, comme le rappelle la sociologue Charlotte Debrest au micro de Charlotte Bienaimé dans Un podcast à soi : avant l’arrivée de la contraception (légalisée à la fin des années 60 en France), on ne parlait même pas de “désir d’enfant”. On faisait des enfants par obligation financière (pour supporter la famille par leur travail), pour des questions d’héritage (d’un trône, d’une entreprise) ou simplement parce que shit happened when on s’envoyait en l’air.

Depuis que les femmes ont le choix, la société a souvent tendance à transformer ce choix en “devoir par nature”. Comme le rappelle aussi ce très bon papier sur le sujet dans Egalitaria, les femmes sont conditionnées depuis toutes petites à percevoir la maternité comme la norme : on nous offre des poupons à Noël, on nous apprend à prendre soin des autres, on nous demande combien on voudra d’enfants plus tard, notre premier argent de poche vient souvent du babysitting…

 

Il faut beaucoup de courage pour lutter contre cette éducation genrée. Une femme qui ne souhaite pas avoir d’enfant est jugée comme on jugeait les sorcières (quelle femme n’aime pas les enfants ? #suppotdesatan), quand on ne l’infantilise pas en remettant en permanence sa décision en question : tu verras quand tu auras rencontré le bon, tu changeras d’avis, tu risques de le regretter, etc, etc, etc. De nombreux·ses médecins aussi assènent des menaces à peine déguisées du style “Si vous voulez des enfants, il va falloir vous dépêcher, ne revenez pas vous plaindre à 40 ans quand ça ne sera plus possible”.

Si on se souciait sincèrement de l’infertilité des femmes pour elles, la FIV (fécondation in vitro) serait remboursée jusqu’à la ménopause, jusqu’à la réelle impossibilité physique de procréer. Or en France, elle n’est remboursée que jusqu’à 43 ans. Horloge biologique ou horloge sociale then ?

 

Si des femmes ressentent bel et bien ce désir puissant de faire un enfant, on est en droit de se demander si, pour certaines, ce n’est pas dû à une pression intériorisée. La peur d’être jugée si on faillit à notre devoir, celle que notre vie n’ait pas de sens, ou de se sentir vide d’un truc dont on serait censées primitivement se remplir.

 

Dans Supporter sa liberté, l’écrivaine Chantal Thomas écrit une scène ou une femme annonce qu’elle n’a pas d’enfant à une autre femme : “Comment ça vous n’avez pas d’enfant ? Vous n’êtes pas mère ? Impossible, toute femme désir un bébé, c’est son instint, l’accomplissement de sa nature. Une femme sans enfant est une femme inachevée”.

Et c’est bien là ce qu’on essaie de nous faire croire. Qu’en tant que femme, nous ne serions pas des êtres entiers, complets, à part entière. Qu’il faudrait combler notre demi-personne par le couple ou la maternité.

 

Mais les femmes n’ont pas besoin d’être complétées par qui ou quoi que ce soit. L’horloge biologique est l’invention sexiste d’un seul homme, une métaphore devenue réalité scientifique dans l’imaginaire collectif. Si une femme décide d’avoir un enfant, c’est son choix, pas celui de la société ou de ses hormones, son choix éclairé et inquestionnable, qu’importe son âge.